Always the seum
Est-ce que le seum est le nouveau spleen?
Septembre est une période qui m’a toujours foutu le bourdon. Cette effervescence de rentrée scolaire, où il faut bouleverser ses habitudes, rentrer dans des habits qui semblent des prisons, renoncer aux sandales, oublier se nourrir uniquement de salades pour des plats plus sérieux, penser à mettre du pain aux oiseaux, revenir à un rythme contraignant fait de réveils stridents à pas d’heure, et surtout mon anniversaire.
Comme beaucoup de gens je crois, j’entretiens depuis des années à l’égard de cette date des sentiments ambivalents: à la fois ravie d’avoir une occasion de recevoir des compliments (j’aime), de bien manger / boire (j’aime aussi) et la sensation que chaque anniversaire est un pas de plus vers la tombe, car hey, oui, on meurt tous et toutes un jour.
“Oula, quelle humeur”
J’ai le seum vous dis-je. D’autant que cette année, dans l’horlogerie qui compose septembre, de minuscules grains de sable persistent à s’incruster et à me faire grommeler. Une interview un peu compliquée et une transcription hasardeuse. Des insultes qui continuent de pleuvoir. Une reprise de cours qui se passe pile le jour de mon anniversaire, en soirée. Alors certes, on peut tourner tout ça en positif:
- si il y a interview, même maladroite, c’est toujours un peu de pub.
- si il y a insultes, c’est que le bouquin touche un truc chez ces gens, qui les dérange.
- si je reprends les cours, c’est que ceux de l’an dernier ont donné satisfaction.
Il faudrait que je mette de l’eau dans mon vin, ou que je voie le verre à moitié plein. Mais je penche du mauvais côté de la balance. Et je déteste cet état. Je préfère encore être franchement énervée.
La colère est constructive
Passée la période où elle bouffe tout, où chaque cellule du cerveau est mobilisée par la rage, rendant toute réflexion impossible, la colère est un bienfait. Vraiment: c’est parce que je suis en colère que j’avance. C’est un moteur extraordinaire la colère, une fois qu’on l’accepte. Mais comme nombre de femmes, j’ai appris à réfréner, à modérer, à éteindre ma colère. Parce que ce n’est pas beau une femme en colère. Enfin, ça c’est le message que la société veut nous faire passer. Moi je trouve une esthétique certaine dans la colère et sa puissance: tout le corps tendu, la libération de la voix, et surtout le fait de pouvoir - pour une fois - explorer ce qui ne va pas, ce qui fait mal, l’injustice ou la mauvaise foi. Parce que la colère amène si on veut bien lui laisser la place une envie de faire bouger les choses. En les bousculant ou en s’y prenant plus doucement, mais c’est une piste, un début, un chemin qu’il ne faut pas refuser d’emprunter. Elle permet aussi de sentir sa propre force. Et si l’on en a la possibilité, de mobiliser les autres.
Les raisins de la colère
Si je suis à ce point impliquée dans le combat contre le sexisme dans le monde du vin, et contre les inégalités, c’est parce qu’elles me mettent en colère: je ne peux plus supporter les remarques condescendantes, humiliantes du quotidien. Je ne peux plus tolérer les agressions qui émaillent la vie des femmes et des personnes “différentes”. Et cette force là, cette vague surpasse les craintes. Et même arrive pour un temps à me faire oublier ce qui m’attend comme “punition” pour avoir dit, ou écrit. Depuis un bon moment maintenant, je subis au quotidien des insultes parce que j’ai écrit un livre. “une merde”, “comparable à Mein Kampf”, “crime contre l’humanité”, ça c’est juste pour le titre. Je vous fais grâce des autres commentaires sur moi, vraiment ça n’en vaut pas la peine. C’est inutilement, salement violent, souvent bête et méchant. Ce ne sont pas des gens en colère qui les ont écrit, ces commentaires. Ce sont des gens qui s’ennuient peut-être, sont vaguement irrité.es, parce que quelqu’une ose parler d’égalité. Je suis ouverte à toute critique, on peut évidemment trouver que ce livre manque de ci ou de ça, regretter sa forme, peu importe. Mais cette opposition systématique, pour blesser, sans jamais parler du fond… Je ne peux même pas dire que ça me met en colère. A vrai dire, je suis un peu blasée parce qu’à force, une habitude se crée. On s’habitue à chaque diffusion d’interview, ou de papier à subir moqueries et insultes gratis. J’en rigole même parfois, j’essaie de faire de l’humour là dessus. Mais au fond, ça grince pas mal. Je mentirai si je disais que ça ne m’atteint pas du tout: mon sommeil est plus léger depuis quelque temps, je me connais, je sais les signaux qui me disent que même si je fais face, y a des machins qui grattent. Et puis, je suis pas mal agacée de voir que le sujet des inégalités n’en est pas un dans le petit monde du vin et de la food. Révélateur, hum? Sans doute. On préfère évacuer la poussière sous le tapis, juste, à un moment, ça finit par se voir.
Alors bien sûr, je pourrais me dire: tant pis, j’arrête. Pour ce que ça me rapporte, pour ce que ça m’use, j’arrête. Mais y a la petite voix qui est là, la colère tapie, qui me dit que si je ne le fais pas, plus, j’aurais vraiment du mal avec moi. Une fois écoutée la colère, on ne peut plus revenir en arrière. Même si c’est chiant, même si ça fatigue, même si on a parfois l’impression de pisser dans un violon. Parce que je ne suis pas toute seule. Sœurs de colère.
Et accoucher de la joie
Je participais cette semaine à un podcast (vivement qu’il soit en ligne, c’était un bonheur d’y papoter) et j'expliquais la naissance du Manifeste. La gestation s'est faite dans la colère, j'ai commencé à rédiger après que le harcèlement à mon égard se soit un peu calmé, mais le livre est au final très joyeux.
Car c'est ce que je retiens: une fois transcendée la colère, une fois prise à bras le corps et utilisée, reste la joie d'en avoir fait quelque chose. On peut se demander si ce n'est pas une dérive capitaliste de vouloir tout transformer en quelque chose d'utile, chaque expérience, chaque coup porté. On pourrait laisser de côté le mauvais et juste l'oublier. Mais je crois que c'est dans ma nature : je ne cesserai jamais de m'impliquer, d'essayer à mon échelle de faire bouger des trucs. Même si le prix à payer est parfois élevé.
En parlant de sous
Une nouvelle émission culinaire prend ses quartiers à la télévision belge. Le concept: des chef.fes étoilé.es doivent reproduire à l'identique des snacks célèbres. Autrement dit, les “fleurons” de l'industrie agro-alimentaire. Je ne sais par où commencer tellement il y a de sous-questions dans cette émission.
J’ai regardé la première, qui mettait donc en scène deux chef·fes: Martin et Arpin. Pour une fois, parité respectée. Leur défi: reproduire à l’identique une viandelle.
Pour celles et ceux qui ignorent ce qu’est une viandelle: une sorte de saucisse de viandes (?) légèrement élastique, enrobée d’une panure. Elle est servie dans les fritkots, et personne ne cherche trop à savoir ce qu’il y a dedans. C’est pas cher, c’est gras, et évidemment on se doute que niveau santé, c’est pas ouf.
On amène donc aux chef·fes les fameuses “saucisses”, et iels tentent d’en décortiquer la composition. Un peu plus tard dans l’émission, on leur amènera d’ailleurs une boite à viandelles, avec une liste d’ingrédients dont je ne vais pas lister l’intégralité mais comprenant de la viande séparée mécaniquement1, du dextrose2, du glutamate3, de l’eau 4…). Ce que j’ai omis de dire jusqu’ici: la viandelle est une marque déposée. De toute façon, si même vous ignoriez par qui en début d’émission, impossible d’échapper à la marque en quatre lettres. Visite de l’usine, tour guidé en connivence avec une employée “historique” de la maison, on élude les questions qui pourraient fâcher et on loue la mécanique de précision.
Evidemment, on insiste beaucoup sur la difficulté qu’il y a à produire une viandelle: obtenir sa texture (le fameux “rebondi”), ses stries bien régulières qui permettent d’accrocher la pâte, et surtout son goût. Perso, je suis en PLS mais les chef·fes lâchent rien: si Arpin reste relativement sobre dans les ingrédients utilisés, en privilégiant produits frais et goûts naturels, Martin sort l’artillerie lourde des concentrés, poudres et extraits : le “meilleur” de l’industrie agro en somme. Et de rire de n’avoir jamais “autant ouvert de boîtes pour cuisiner”. Et que je touille la bouillasse, et que je rajoute un peu de saveur champignon, … Bref, c’est plus de la cuisine, c’est un concept d’apprenti·es sorcier·es.
Toute l’émission, je me suis demandé ce que j’étais en train de regarder: une marrade entre chef·fes? Une énorme pub à peine déguisée? Une façon de promouvoir la malbouffe en mode c’est pas si grave, c’est même bon, et d’ailleurs regardez de grand·es chef·fes galèrent à faire aussi bien que nous.
J’ai même entendu le chef Martin dire qu'arriver à produire, de façon aussi régulière (industrielle quoi) était “le rêve de tout chef”. A ce moment là, j’étais en train de boire une bière, j’ai failli m’étouffer j’ai recraché et je me suis offert un petit nettoyage des sinus en prime. Autant parfois la cuisine des chef·fes qu’on nous montre via le petit écran semble graviter dans des sphères perchées et inaccessibles, autant là, toute l’émission était un gigantesque “pourquoi?”.
On n’a jamais été réfléchi à l’alimentation, à son impact sur l’environnement et la santé, on n’a jamais dit autant le besoin de passer à un modèle de nourriture moins transformée, en diminuant les additifs, en diminuant la viande, mais hey, jouons à faire la pub d’une usine en lui filant un vernis de respectabilité puisqu’après tout des chef·fes cautionnent. Evidemment que l’agro-alimentaire prenait déjà part à ces émissions, au moyen de sponsoring, mais le “placement produit” était vachement plus discret. Bref, ça m’a foutu le seum comme jaja.
Stratego raté
Je regarde Koh Lanta, par amour. Vraiment ce type d’émissions m’intéressent assez peu, mais mon cher et tendre kiffe, donc on est ensemble. En général, je regarde ça très distraitement mais depuis quelques temps, quelque chose me titille. En gros, pour celles et ceux qui n’ont pas vu, il s’agit de faire s’affronter les Légendes aka les candidat·es les plus chevronné·es de l’émission. Au début, hommes et femmes étaient séparé·es en deux équipes: c’est là que ça devient croquignolet. Si les hommes ont mené leur petite vie peperlito, les femmes, sous l’impulsion de Coumba ont tenté de mettre en place une alliance féminine (on découvrira après que les motivations de Coumba ne sont pas exactement de faire chuter le patriarcat mais plutôt de ne pas faire tomber ses potes trop tôt). Au début, tout va bien, à coup de “girl power” et de “regardez tout ce qu’on peut faire sans hommes”. Et puis une fois réintégrées dans des équipes mixtes, l’alliance se fissure. Une telle veut bien éliminer les hommes mais pas celui-là qui est chou. On en appelle aux sentiments, à l’amitié, à la “morale” et on se déchire. Tout ça pour quoi? Pour en arriver à un vote éliminatoire, où tous les hommes auront voté contre une femme. Et où les femmes votent aussi contre des femmes.
Finalement, c’est assez révélateur: les hommes n’ont pas besoin de stratégies, ou de former des alliances. Ils se cooptent, se soutiennent et font bloc sans même se concerter. Des siècles de boys club ont façonné cette façon de se penser groupe. Pendant ce temps là, les femmes ont des scrupules, calculent, mettent en avant leurs sentiments, se mettent en concurrence… sans se rendre compte qu’au final, elles seront perdantes. A tel point qu’hier, une des candidates a accusé les autres d’avoir comploté en “créant cette défiance vis-à-vis des hommes”. La sororité nous est tellement peu naturelle que même en faisant des efforts, on a beaucoup de mal à la mettre en pratique. On va méditer là dessus, hein?
Rappels utiles:
Je serai en dédicaces le 2 octobre à Paris, à la cave Rerenga , rue de la fidélité 3, 75010 Paris de 15h30 à 18h30.
Et aussi à Toulouse, le 30 octobre à 18 h chez Floury Frères, 36 Rue de la Colombette, 31000 Toulouse.
On se retrouve d’ici quinze jours, prenez-soin de vous, et du riz.
Qu’est-ce que la viande séparée mécaniquement? Elle a une qualité très inférieure à la viande sur le plan protéinique et nutritif. C'est une pâte obtenue, selon la réglementation, par « l’enlèvement de la viande des os couverts de chair, après le désossage des carcasses de volailles, à l’aide de moyens mécaniques entraînant la destruction de la structure fibreuse des muscles » : les carcasses de volailles sont placées dans un appareil à haute pression pour obtenir « une viande très fine » qui ferait penser à de la filasse de guimauve.
Le dextrose est un sucre simple souvent utilisé comme un édulcorant artificiel ou pour augmenter la durée de conservation des aliments.
Le glutamate de sodium ou E621 est un additif alimentaire utilisé comme exhausteur de goût. Ce stimulateur chimique très puissant permet de renforcer le goût des ingrédients pour exciter les papilles gustatives, mais aussi d'utiliser les matières premières en très petites quantités tout en gardant le goût.
Qui l’eut cru? Gonfler les “viandes” à la flotte permet d’augmenter le rendement.