J’ai une tendresse infinie pour les gens qui se cassent la gueule, mais s’en tirent avec le sourire, pour celleux qui chantent faux, mais prennent le micro au karaoké, pour les “losers” ou les outsiders, bref, j’aime les anti-héros. Je crois que ce que je préfère, c’est de sentir que même s’iels ne sont pas taillés pour le rôle qu’on leur a attribué, ou qu’iels ont choisi, iels y vont à fond, quoi qu’il advienne avec une confiance indéboulonnable. 1
J’ai été élevée dans l’idée que si ce n'était pas pour être la meilleure, ce n'était pas la peine de se lancer dans une activité, une discipline, un sport. Et j'ai fini par l'intégrer. Pendant des années, j'ai considéré être nulle dans un tas de domaines et que ça ne valait même pas le coup de tenter de m’améliorer. On m'a répété à l’envi que j'étais une littéraire, et que je ne saurai jamais me servir de mes dix doigts autrement que derrière une machine à écrire (je suis née dans les années quatre-vingt, oui). Mieux, les rares fois où je me suis sincèrement intéressée à des trucs hors de mon “champs” comme la couture, avec ma mamy, ou le bricolage avec mon papy, les deux ont eu exactement le même type de réponse : tu n’y arriveras pas. 2
J’ai appris à lire très tôt, j’ai très vite tenu un stylo, et j’avais des aptitudes pour les langues, mortes ou non. On m’a très vite rangé dans une case et en même temps, on a sabordé le peu de confiance en moi que j’avais. Parce que mon univers, certes confortable, était relativement étriqué: je n’avais le droit d’investir que ce pour quoi j’étais destinée, le reste étant de toute façon voué à l’échec. J’ai fait beaucoup de danse, mais là aussi, on me répétait que ce n’était pas ma place : trop grande, trop musclée, pas assez souple, les pieds trop plats. En gros, je vivais dans une toute petite boîte, dont il était extrêmement difficile de sortir. Corollaire : le fait d’être “douée” pour les langues ou la littérature ne m’autorisait pas à être fière de ce que je pouvais faire ou produire, puisque je n’avais rien fait pour ça, c’était comme de naitre blonde ou avec les yeux bleus, une simple caractéristique.
Pourtant, avec mon recul d’adulte, si j’écris aujourd’hui, c’est parce que j’ai passé des heures à m’entrainer. J’ai noirci un nombre invraisemblable de pages, j’ai tapé des dizaines de feuillets sur ma première machine électronique et j’ai deux ou trois brouillons de romans qui trainent quelque part, des poèmes, des embryons de textes, en plus de tout ce que j’ai pu écrire depuis plus de trente ans. J’ai amélioré mon style et ma technique, j’ai peaufiné les tournures, repassé sur des centaines de textes. Qu’il y ait eu un don ou pas au départ, finalement, ce n’est pas la question: j’ai travaillé ce vers quoi on m’a dirigée, parce que j’étais une fille, parce que je ne semblais pas assez dégourdie ou sportive, parce que j’étais distraite et que seul ce domaine allait pouvoir me convenir. Je me dis parfois que j’aurais pu avoir une tout autre vie 3 si on ne m’avait pas orientée dès le départ, si on m’avait appris qu’on a le droit d’échouer, et à avoir confiance en moi.
C’est, au fond, ce dont il est vraiment question ici. Je lis souvent des femmes s’interroger sur le peu de confiance en elles qu’elles ont, ou qu’ont d’autres meufs pourtant brillantes. Je me demande combien de ces femmes ont eu une trajectoire similaire à la mienne : on est certainement relativement nombreuses si je me fie à ceci : il y a une vraie séparation de genre, entre “les littéraires” et “les scientifiques”. Il y a évidemment beaucoup à dire de la socialisation genrée, sur la répartition des études qui fait qu'on dirige plus les filles vers les métiers du Care ou vers des branches moins terre à terre tandis que les garçons ont droit aux sciences dures. Énormément à dire aussi sur le fait qu’on encourage les garçons à prendre de la place et les filles à être discrètes, dans l’espace et sur leurs réussites. Un homme qui montre de l’ambition est puissant, une femme est arrogante.
Depuis quelques années, et très probablement plus encore depuis que j’ai moi-même une fille, je travaille ma confiance en moi. Parce que si moi je n’ai pas confiance en moi, comment je lui apprends à elle ? Tous les jours je me bats contre un petit démon intérieur qui me répète “tu vas être nulle” et plutôt que de l’écouter ou de me fixer des objectifs canons, j’ai appris à lui répondre “et après?” Il parait que je dégage une grande confiance en moi : pourtant j’ai tendance à regarder derrière mon épaule pour voir de qui on parle quand on me le dit. Fake it ‘till you make it. Ce qui est certain, c’est que tous les jours ou presque je progresse un petit peu.
Contrairement à une idée reçue, avoir confiance en soi n’est pas avoir la certitude de réussir quoi qu’il advienne. Ce n’est pas non plus se sentir légitime à parler de tous les sujets sans y avoir un peu réfléchi avant. 4 C’est savoir se projeter dans une situation, et envisager de pouvoir y prendre part. Un point de vue difficile à intégrer quand on a vécu dans sa toute petite boîte, avec une montagne de choses interdites devant.
C’est une erreur que j’ai faite longtemps : je pensais que la confiance en soi, ça venait naturellement avec les diplômes, la réussite, les trophées, les récompenses. Ce jeu-là est un piège, particulièrement pour les femmes. Plus vous en avez, plus on vous en demande parce que rien n’est jamais assez. J’ai vu tellement de femmes autour de moi avoir des parcours incroyables, et pourtant douter toujours d’elles-mêmes. 5 À côté de ça, certains hommes, qui ont des carrières pas ouf et autant de charisme que des crêpes mal cuites, ont une confiance en eux absolument absurde. Il ressort d’un récent sondage que 27 % des Anglais pensent que s'ils s'entraînent dès maintenant, ils peuvent se qualifier pour les JO 2028. Dans quelles disciplines? Le badminton, l’aviron, le 100 m ou le tir (sic). Mieux encore, d’après un autre sondage, 50 % des hommes se sentent capables de faire atterrir un avion de ligne “en toute sécurité”. Et évidemment je ne peux passer sous silence ce classique de l’infographie :
Là où un pourcentage non négligeable de gars se sentent capables d’attaquer un ours à mains nues et de gagner le combat, les femmes préfèrent se barrer avec l’ours. Et on peut continuer comme ça, avec des études fantaisistes ou plus sérieuses.6
Souvent on confond un peu deux notions : l'estime de soi et la confiance en soi. L'une est le jugement que l'on porte sur soi, l'autre est la croyance en ce que nous sommes capables de réaliser. Elles peuvent se confondre ou non. C'est très parlant dans les exemples cités juste avant : peut-être que les mecs qui répondent, en se regardant dans une glace le matin sentent bien qu’au fond ils seront toujours un peu ce bout de salade jaunie collé par la condensation au fond du frigo mais ils se sentent capables de transcender cet état pour devenir potentiellement un gars qui bat des ours dans une arène de MMA. Un jour.
Parce que la confiance en soi, c’est une construction (sociale). Et qu'à ce jeu là, l’imaginaire donne les hommes gagnants. Pensez à une personne confiante en elle : elle est affirmée, a le goût du risque, sait prendre des décision, est forte, parfois agressive mais dans un sens qui s'avère positif. À l’inverse, une personne en manquant sera vue comme timide, indécise, ou trop perfectionniste. Il n’y a pas loin à chercher pour trouver dans les premiers des expressions stéréotypées de la masculinité et dans les seconds de la féminité.
Les femmes bardées de diplômes ou très compétentes qui manquent de confiance en elles sont un parfait exemple du syndrome de la bonne élève: ce n'est pas ce qu'on sait déjà qui est en jeu, c'est ce qu'on serait éventuellement capable d'en faire. Et on se met trop souvent dans une situation où les attentes qu’on a envers soi sont irréalistes, comme si on n’était définie que par ce qu’on fait parfaitement, ou qu’on fait le mieux en comparaison des autres.
Longtemps, j’ai cru qu’il était important, en tant que femme, d’avoir des role models7 et que c’était une question primordiale. Je sais que à cause de ce que j’ai pu faire dans ma vie, j’en suis un pour certaines jeunes femmes et quelques jeunes hommes. Mais c’est vraiment le truc qui m’intéresse le moins du monde, et qui me met dans une position extrêmement inconfortable. Je n’ai jamais voulu être un exemple, 8 et encore moins qu’on suive ma voie.
Les role models exploitent le mythe de la femme qui veut et peut tout : vie amoureuse, professionnelle et familiale au top, réseau et sorties. Sauf que ce qu'on ne dit pas, c'est que personne n'y arrive. Je suis comme tout le monde, je kiffe ces histoires de championnes qui reviennent après une grossesse, encore plus performantes, mais d’un autre côté j’imagine assez bien la sueur, le sang et les larmes pour y arriver. Il y a toujours un truc qui coince, ou qu'on sacrifie : parfois, le prix est trop élevé à payer.
La représentativité au “sommet” permet d’encourager des vocations mais elle enferme aussi dans d’autres stéréotypes. Et on peut ajouter que c'est une manière de dépolitiser le sujet, en faisant peser la responsabilité du plafond de verre sur les comportements individuels des femmes, notamment sur le manque de confiance en soi. Or, on le sait: les discriminations sexistes ne sont pas une responsabilité individuelle, mais un problème collectif de société, politique. Le féminisme n'est pas une entreprise de développement personnel9 et ne doit pas faire peser la responsabilité de la lutte uniquement sur les comportements individuels, même s'il est évident que les petits gestes comptent. En réalité, c'est un peu comme l’écologie : bien sûr que chacun.e peut et devrait adopter des comportements moins impactants pour la planète mais ça ne peut pas fonctionner sans une refonte globale du système social et politique.
Il est pernicieux d’imaginer que toutes les femmes ont envie de faire carrière ou de réussir, peu importe ce qu’on peut mettre dans ce mot : ce n'est pas le cas, et ça ne devrait pas être une injonction supplémentaire. Je ne crois pas qu'on résoudra les problèmes d'inégalités de genre en disant aux femmes de prendre confiance en elles, parce que dans une société patriarcale et capitaliste il s'agit avant tout de les pousser à se réaliser sur le plan de l’économie, au détriment de leur bien être physique et mental, sans nuancer le discours.
On ne dit pas assez aux femmes qu'elles sont capables de réussir, ça c'est vrai. Mais ne tombons pas dans le piège inverse où l’on mesure la valeur et le respect accordé à un individu quel qu'il soit par son travail ou son degré de performance.
On a le droit de ne rien faire, de faire les choses moyennement, ou mal 10 : cet hiver, je me suis essayée à la peinture. Objectivement, mes réalisations n’ont pas montré un incroyable sens de l’esthétique ou un don ignoré toutes ces années mais je m’en fous : ça ne m’a pas empêché d’envoyer ces cartes peintes à mes ami·es. J’ai kiffé être sur une scène à faire une présentation le jour où j’ai abandonné tout sens du ridicule : accepter de montrer qu’on ne maitrise pas tout et qu’on peut même être nulle à certains moments, c’est libérateur. Depuis quelques semaines, j’apprends à conduire : je ne m’en sentais pas capable jusqu’il y a très peu de temps, et je dois dire que parfois, au volant, je me demande encore ce que je fous là mais je persévère. Et je kiffe.
J’organise de temps à autres des dégustation en non mixité et je commence toujours de la même façon: je dis aux femmes d’avoir la confiance en elles d’un mec médiocre. L’idée n’est pas qu’elles vont devenir de supers dégustatrices avec ça, ce n’est pas performatif, ni un coup de baguette magique. Je sais bien que devenir une bonne dégustatrice, ça prend du temps, que c’est une éducation des connexions papilles-cerveau, puis une retranscription de ces connexions. Mais c’est parfois le coup de pouce nécessaire pour oser essayer, peu importe finalement le résultat final. Je me fiche qu’elles retrouvent une panoplie d’arômes au fond, ce que je veux c’est qu’elles se sentent capables et qu’elles kiffent ce moment là, au delà de toute performance.
Si vous cherchez un peu sur Internet à “confiance en soi femmes” vous allez trouver pléthore de coachs, de méthodes en 7 étapes, et de guides qui vous promettront la lune. Je vous laisse regarder le prix de ces formations, réfléchir au fait qu’on capitalise autant dessus, et que ce n’est jamais qu’une version moins ésotérique des formations au féminin sacré.
Perso, j’ai décidé qu’avoir confiance en moi, c’est m’offrir la liberté de faire exactement ce dont j’ai envie, pour moi. Et si le résultat dépasse mes attentes, tant mieux. Si je suis nulle ou si ce que j’entreprends se vautre, ce n’est pas grave.
J’ai eu l’impression toute ma vie de m’épuiser à courir après un truc qui ne viendra jamais : maintenant, je me contente de suivre mes envies, et de voir ce qui se passe.
Souvenez-vous toujours que trente pour cent d’hommes américains ont répondu un jour dans un sondage être capables de battre un aigle, sans armes. Un sur trois.
J'aime à penser que tous les hommes s'arrêtent parfois de poursuivre
L'ambition de marcher sur Rome et connaissent la peur de vivre
Sur le bas-côté de la route, sur la bande d'arrêt d'urgence
Comme des gens qui parlent et qui doutent, d'être au-delà des apparences
Juste quelqu'un de bien
J’ai d’abord pensé à prendre en exemple cette daronne de 36 ans, prof d’université et dont la vidéo aux JO en breakdance a beaucoup tourné. Elle est objectivement nulle (elle n’a récolté aucun point), et elle kiffe dans une retransmission ultra-diffusée. Mais ça n’aurait pas été possible sans le privilège blanc : l’arrivée du break aux J.O a gommé toute l’origine* de cette culture noire. Pire que ça, à l’heure où j’écris ces lignes, on apprend qu’elle aurait magouillé pour participer, en évinçant des candidates bien meilleures. Je mets au conditionnel car ce site affirme le contraire : ça n’enlève rien à la problématique de départ.
*Les racines du breakdance peuvent être retracées dans les danses africaines et caribéennes, qui ont été apportées aux États-Unis par les esclaves et les immigrants. Presque aucun danseur·euse n’était noir·e. En sus, elle portait un durag, comme la lituanienne Nicka, blanche, elle aussi, ce qui peut être considéré comme de l’appropriation culturelle. Les durags étaient autrefois portés par les esclaves africains pour attacher leurs cheveux au travail, et sont devenus un symbole à la mode de la fierté noire dans les années 1960 et 1970, puis un symbole du hip hop et de la culture break. Le break ne fera pas partie des épreuves aux jeux de Los Angeles.
Pour être honnête, iels avaient des raisons différentes. Mon grand-père a refusé de me montrer comment bricoler parce qu’il pensait que j’allais me blesser, forcément, ma grand-mère de me montrer comment coudre pour des raisons d’ambition projetée et d’ascenceur social. Pour elle, j’allais devenir une femme qui réussirait, au point de payer quelqu’un d’autre pour effectuer les tâches triviales, comme la couture et le ménage. Le fait est qu’elle ne voulait pas pour moi la vie qu’elle avait eu, dure et pleine de restrictions.
En même temps, je ne regrette rien: j’ai fait plein de choses de cette vie, et je compte bien continuer.
Je suis tombée sur un post LinkedIn l'autre jour d'une nana qui se plaignait de son pretty privilège tout en écrivant noir sur blanc qu'elle avait bien conscience que ça lui était bénéfique et qu'elle s'en servait. Comme se plaindre d'être ultra riche et d'avoir trop de Porsche pour les jours de la semaine. Après ceci dit il y avait un type qui se plaignait qu'on le traite de capitaliste parce qu'il a 40 biens immobiliers. Conclusion : LinkedIn est une antichambre de mon enfer personnel.
Hear me out: douter, c’est très bien. C’est ce qui permet de se poser des questions sur soi, ou ses actions et d’avancer, de progresser. Il ne faut pas que le doute envahisse tout et vous saborde, c’est tout l’équilibre à trouver.
Une femme sur huit négocie son salaire à l’embauche, contre un homme sur deux (Université de Munich, 2013) 66 % des hommes se pensent plus intelligents que la moyenne contre 54 % des femmes (Université de l’Arizona, 2018) Les femmes scientifiques utilisent 12 % de qualificatifs positifs en moins que leurs confrères dans les articles qu’elles rédigent pour présenter leurs travaux (British Medical Journal, 2019).
Le problème de ce concept, c’est que comme d’autres (oui le bodyposi, je parle de toi), on l’a vidé d’une part de sa substance, qui peut être intéressante à exploiter sur le plan féministe, pour se concentrer uniquement sur l’aspect économique et “empowerment”. Je déteste tellement ce mot, et tout ce qui va avec : c’est très bien exprimé ici ““Empowerment" et "femme forte" suggèrent un même réflexe : projeter sur des modèles féminins des notions de perfection, de combativité et de résistance à toute épreuve. Sans forcément prendre en compte une réalité moins idéale.”
Burn your idols : mettre quelqu’un dans une position d’idéalisation, c’est prendre le risque d’être déçu·e. Je ne reviendrai pas sur les nombreux exemples d’hommes qu’on pensait “bien” et qui s’avèrent être d’immondes salopards, mais au delà de cela, il y a quelque chose de quasi malsain à projeter trop de choses sur quelqu’un qu’on ne connait pas. Il y aussi lun risque d’amoindrir sa propre valeur.
Je n’ai rien contre le développement personnel, ou en tous cas contre la notion d’évolution, de chemin, tout ce qu’on veut bien mettre dedans. J'essaie tous les jours en tant que personne de devenir une meilleure version de moi, de bosser sur mes névroses, mes biais et mes insécurités, et je crois que le monde gagnerait si globalement on faisait un peu plus cette démarche personnelle. Ce qui m'agace un peu plus, c'est la façon dont on en fait un outil de droite.
Là encore, il y a un parallèle avec le bodyposi, qui lui même vient d’un mouvement porté par les fat activists des USA, et particulièrement amplifié par les femmes noires et la communauté Queer. Au départ pensé pour faire accepter tous les corps, et surtout les corps gros, il s’est transformé en une entreprise capitaliste, prônant l’amour obligatoire de son corps, obligeant à le trouver beau*, au point de promouvoir les régimes, car ils permettraient aux gens de se sentir mieux. De la dépolitisation des luttes et des oppressions systémique à la solution individuelle, always.
*Comme dirait Manu, (pas le président, l’autre) qu’est ce que le beau, sinon une tentative dictatoriale d’imposer son propre goût comme vue universelle ?