Mi-Sand Mi-sandre
L’humour est une chose trop sérieuse que pour être laissée aux hommes
C’est un mantra qui m’accompagne. Ah l’humour (et les pieds et paquets)… Très petite, j’ai eu conscience d’être drôle. Il faut dire que nécessité fait loi: alors affublée d’un appareil dentaire, d’oreilles décollées et d’un cheveu sur la langue, j’avais aussi la malchance d’être sinon première, toujours au moins dans le trio de tête de la classe. Vous comprendrez ainsi aisément que j’avais à peu près tout pour être au mieux l’objet de moqueries, au pire une souffre-douleur. Chose qui fut habilement contournée par l’emploi de l’humour: ce n’était certes pas toujours une panacée, ça n’a pas empêché tout à fait la mise au ban, mais m’a tout de même valu de n’être pas paria, parce qu’avec moi “on rigolait quand même”. J’ai même réussi, par un concours de circonstances que je ne m’explique pas, à être invitée à l’anniversaire de Cindy D., fille du coiffeur du village et accessoirement la plus populaire de l’école. Elle avait tout Cindy: des minijupes en stretch qui moulait son corps mince et bronzé en toutes circonstances, son père possédant un solarium privé où Cindy, hiver comme été pouvait s'adonner à de longues séances, en témoignait sa peau constamment caramel, quoique parfois le temps froid lui donnait des nuances miel. Et surtout elle possédait de longs cheveux, non pas ondulés vaguement au moyen de tresses sur cheveux humides plus ou moins serrées, mais "gaufrés” avec un appareil spécial que ma mère refusait d’acquérir au motif trivial qu’ “à ce prix là, pour abimer tes cheveux, franchement ça n’a aucun sens”. Tuer dans l’œuf mon ambition d’avoir une coiffure “in” et par là même m’empêcher d’intégrer le club des filles cool, puis de réussir ma vie en prenant possession de l'endroit de la cour fréquenté uniquement par les meufs stylées mâchant dans une parfaite synchronicité du vrai Hollywood Chewing-gum1: voilà bien tout le projet maternel à mon égard.
Mais à défaut d’être coiffée comme une créature sirène transatlantique, j’avais des blagues. Cindy donc, dans sa grande mansuétude de fille belle et cool, avait consenti à m’inviter. Elle recevait chaque enfant gravement, muni de son sésame sur papier cartonné fuchsia à la porte d’entrée, murmurait un merci pour la énième Barbie grossièrement emballée par des mains malhabiles, invitait à laisser son vestiaire dans l'immense penderie de l'entrée.
Son visage ovale se nimbait de ses cheveux, que par un effet extraordinaire et à gros renfort de laque, son père avait réussi à dresser autour de sa tête comme une couronne pileuse et dorée. J'ai tellement envié cette grâce, la masse de mes cheveux à moi cachait à grand peine mes oreilles. Elles pointaient misérablement au travers de mes épis blonds cendrés leurs extrémités rougeaudes, alors ces histoires de couronne d'ange, là, ça n'aurait pas vraiment pu être possible.
En plus, chez Cindy il y avait un escalier à colimaçon sans contremarche, comme dans les magazines.
J’ai peu de souvenirs de cette fête en particulier, hormis un mal de bide du à l’abondance de sucreries et du vrai coca-cola TM qui coulait à flot. Mais elle signa les prémices de quelques autres, où l’humour était ma carte d’entrée.
En grandissant, j’ai aussi beaucoup utilisé ce penchant naturel pour résister. Il parait que les gens les plus résilients sont ceux et celles qui ont la capacité de rire, en toutes circonstances ou presque. Arriver à rire de soi. Même en soins intensifs parce qu'on est incapable de se coiffer des deux cotés de la tête, mi lisse mi punk. Ou parce que franchement, devoir raconter à l'obstétricienne de garde que la fuite de la poche des eaux a commencé pile après juste 17 minutes de l'émission le plus Grand Cabaret du monde, c'est quand même la lose.
Avec le temps, évidemment mon panel de blagues s’est diversifié: plus question de rire par exemple des oppressions, plus question de se moquer toujours des mêmes. L’humour comme outil d’intégration a fini par devenir un outil politique, aussi. Et je suis tombée, avec délectation dans l’humour misandre: retournement de stigmate, basse vengeance d’avoir tant entendu de blagues sur les blondes, ou les femmes, ou les femmes blondes, peut-être. Mais aussi une manière de dire: “je ne suis pas dupe du patriarcat, de ce qu’il fait aux hommes, de comment il les rend cons, laissez-moi le privilège de moquer ça.”
La misandrie, pour ne pas la nommer
On en a déjà écrit des lignes et des lignes, sur l’humour, sur comment il peut être autant émancipatoire qu’oppressif. Et d’à quel point - encore plus encore avec ce moyen d’expression particulier - la place d’où on parle est importante.
Souvent, me revient l’argument que misogynie et misandrie ne sont que deux faces d’une même pièce: c’est faux. Un peu comme le sexisme anti-hommes ou le racisme antiblancs, la misandrie ne correspond pas à la misogynie qui elle permet de blesser, mutiler, violer des femmes. La grande majorité des féministes qui pratiquent l'humour misandre n’ont à ma connaissance jamais blessé ou encore moins tué personne 2(si ce n’est peut-être par inadvertance un moustique particulièrement agressif. Sachant que les moustiques qui piquent sont les femelles, il y a une certaine ironie).
Plus intéressante est la question du privé et du politique
Faites ce que je dis, pas ce que je fais. Autrement dit “détestez les hommes en public, aimez-en un en privé”. C’est un reproche que l’on adresse parfois aux féministes hétérosexuelles: se déclarer misandre ou pratiquer un humour misandre alors qu’on fréquente des hommes semble incompatible.
Sauf que - et là on touche à mon avis le point essentiel de la différence entre misogynie et misandrie - détester le groupe hommes, c’est en fait détester ce que le patriarcat fait des êtres de sexe masculin, par ses injonctions au virilisme. Cela ne sous-entend pas détester personnellement chacun de ces bonshommes (imaginez un peu le travail). Pratiquer l’humour misandre, c’est aussi renverser le miroir, et tendre aux hommes ce qu’il nous ont longtemps fait voir de nous (sauf qu’à bien y réfléchir, nous sommes encore bien meilleures à l’exercice). Alors bien sûr qu’avoir un compagnon, ou un mari et porter sur lui un regard féministe n’est pas toujours évident: heureusement, certains sont assez intelligents pour écouter, accepter de se remettre en question, essayer de comprendre ce qui coince. On peut détester chez eux des relents d’attitude patriarcale, mais les aimer assez pour compter sur le fait qu’ils progressent. Déconstruire n'est pas simple, mais je ne prétends ni être un exemple ni parfaite. J'ai conscience des ambiguïtés qui peuvent encore m'habiter. J'essaie de les résoudre. Je n'y arrive pas toujours.
Est-ce que je fais moins vite confiance à un homme? Oui. Je me défierai toujours plus ou moins d’un homme, aussi bien intentionné paraisse-t-il au premier abord. Il me faudra une longue, très longue période test avant de lui accorder l’espace et la confiance que j’accorderai quasi d’emblée à une femme.
Ceci dit, les blagues misandres ont une vertu: on fait le tri très vite entre les hommes qui parviennent à en rire et les autres. Et le tri sélectif, c’est important !
Et je profite aussi de ce moment pour le dire bien fort à nos amis hommes alliés: ce n’est pas parce que vous dites alliés que vous pouvez vous permettre des blagues sexistes sous couvert de “on se connaît, le prends pas mal”. En fait si, je le prends mal, seulement selon l’ancienneté de nos relations, et mon humeur du jour, je prends souvent sur moi pour ne pas vous dire à quel point vous êtes relous. Quand l’intégralité de mon espace social est envahi par ce genre d’”humour”, à un moment, je n’ai plus l’énergie de faire le distinguo. Ne soyez donc pas étonnés si un jour je vous reprends et vous le dis cash. Le retournement de stigmate, ça ne fonctionne que si on est concerné.es: vous, la plupart du temps hommes cis, souvent hétéros, quand vous faites des blagues sexistes… elles restent sexistes.
Le chat est-il supérieur au chien ?
On m’aurait posé la question il y a une semaine, j’eus été bien en peine de répondre mais depuis quelques jours, je revois mon jugement. En cause, une OPA féline sur le Manifeste pour un vin inclusif, comme le montrent ces images :
Est-ce qu’Internet va désormais être gouverné par le lobby des chat·tes?
Est-ce que le lobby canin va se laisser faire sans réagir? Suite au prochain épisode !
Le Manifeste va vivre sa petite vie
Enfin pas trop petite quand même, eu égards aux nombreuses heures de travail mobilisées, et surtout aux brillantes intervenantes (et au seul homme expert, tiens) qui émaillent ses pages de leurs réflexions justes et pertinentes: je n’aurais pas pu écrire ce bouquin sans l’apport de Delphine Aslan, Céline Extenso, Laurence Rosier, Pauline Vicard et Nathan Ratapu, plus toutes les contributions via le formulaire de questions, que j’ai compilées. Dire que je suis fière de l’avoir écrit est peu: d’autant plus quand je note les réactions qu’il suscite depuis l’annonce de sa sortie. L’agressivité, la négation de l’évidence du sexisme (ou des autres inégalités ) dans ce milieu du vin me montrent qu’effectivement le problème est là et qu’il est bien nécessaire de l’affronter plutôt que de faire l’autruche.
Vous pouvez le retrouver dans toutes les bonnes librairies, en France et francophonie. Pour les autres pays, la solution en ligne est adéquate.
Du harcèlement et des insultes sur le net
C’est systématiquement débile et jamais inattendu. Si une femme prend la parole sur le net, à fortiori sur un sujet comme le sexisme, une armée de bonnes âmes vient lui signaler que quand même elle exagère “cette grosse femme moche dont personne ne veut, et dont la frustration devrait être étudiée par un psy. En plus elle a une french manucure”. Je condense, ce n’est pas une vraie citation, mais c’est directement inspiré du tombereau de merde que je me suis prise cette semaine. En cause, un extrait de 2 min d’une interview radio (qui au complet devait plutôt tenir en 30) posté sur la page facebook du média en question.
Au delà du déchainement prévisible, et de la systématisation des insultes3 ce qui me pose question c’est aussi comment les médias gèrent ces nouveaux formats que sont les interviews courtes (style Brut ou Konbini) ou pire les extraits de vidéos plus longues.
Il faudra vraiment un jour qu’il y aie une vraie remise en question de comment on gère l’après de ces formats particuliers, spécialement quand ce sont des femmes, des personnes non-binaires ou des membres de la communauté LGBTQIA, et spécialement quand iels prennent la parole sur des sujets “politiques” comme les inégalités: les responsables du contenu net ne peuvent ignorer la systématisation des commentaires insultants ou du harcèlement.
Des pistes pour que ça se passe mieux? Déjà peut-être en prévenant en amont de la diffusion et de son horaire la, le ou les concerné·es, qui peuvent choisir de mettre en sourdine certains réseaux, un temps, ou bien de déleguer à des personnes de confiance la gestion de leur compte personnel, le temps que ça se calme.
Et ensuite en effectuant un vrai boulot de modération, pour tout commentaire sexiste, grossophobe, homophobe, raciste, insultant, etc. Parce que là, l’impression que cela donne, c’est d’être “envoyée au front pour faire du clic” sans égards pour la violence subie en retour.
Et non, effacer a posteriori des commentaires qui ont plusieurs heures / jours d'existence sans rappel à la loi /charte edito n'est pas suffisant. Non seulement ils ont eu de la visibilité, mais cette “censure” après coup et inexpliquée ne fait que donner du grain à moudre aux partisan.es du “onpeutpuriendire”.
Prendre la parole sur des sujets importants ne va pas sans revers de la médaille, du moins c’est le cas pour le moment. Mais peut-être qu’à force de montrer ce qui se passe, une prise de conscience pourra naître.
La série de la semaine
J’ai lu trop vite le pitch, j’avais lu “chatons” (encore eux, tiens) et j’ai cliqué. Sauf que Brand New cherry flavour n’a rien d’une série feel good à regarder pour se détendre. Certaines scènes sont même assez choquantes, et je vous dis ça, je ne suis pas très sensible. Cependant, j’ai accroché et bingewatché comme disent les jeunes. On peut regretter un côté assez convenu finalement dans les personnages censés être plus diversifiés (l’héroïne, présentée comme bisexuelle n’a d’aventure “sérieuse” qu’avec un homme, sa partenaire féminine étant clairement pas très nette), mais l’intrigue tient le coup, et pour les amateur·ices de gore et d’hémoglobine, on est pas mal servi·es. Si vous aimez le cinéma, le weird, l’esthétique seventies, et voir souffrir des hommes, foncez.
Les Scoop que le monde entier nous envie
Premier scoop: demain, lancement d'un concours Insta pour gagner non seulement des exemplaires du Manifeste mais aussi des revues la Deferlante, et même du pinard ! Stay tuned.
Je serai à Paris le 2 octobre, pour une séance de dédicaces en un lieu que je vous révèle bientôt: un indice se cache néanmoins ici.
J’espère vous y croiser (d’autant que m’y accompagnera la mirifique et incroyable Gérard dite Gégé).
So long, et prenez soin de vos verres de vin, ils sont aussi fragiles qu’un ego masculin.
Fraîcheur de vivre. Hollywood chewing-gum…
Même si certaines féministes radicales ont utilisé et utilisent la violence comme arme de revendication, elle ne correspond pas aux mêmes mécanismes, voir l'excellent papier sur les black bloc dans la Deferlante de septembre.
A force, j’ai l’impression de lire toujours la même personne, tant le caractère des mots utilisés et le champ sémantique est le même. J’ai lu mille fois que j’étais grosse, je ne sais pas, renouvelez-vous et dites moi un truc que je ne sais pas?