Des pêches au thon, du vin italien, un livre super, du ringard, accrochez-vous à vos slips, c’est le #Vinclusif de cette semaine.
C’est irréfragable, si vous suivez un peu mon compte twitter , vous avez certainement noté une certaine récurrence de ces mots accolés qui pour des français·es ne font aucun sens. Et pourtant: cette recette belge est le reflet d’une époque, comme le montre ce compte recensant le meilleur de la cuisine des années 70’s. Alors oui, curieusement un nombre assez conséquent de ces recettes n’ont pas survécu mais les pêches au thon continuent d’être extrêmement populaires, surtout quand il fait chaud en Belgique (quand on passe les 15° quoi) avec les roulades d’asperges en boite au jambon, les tomates crevettes, l’œuf mimosa et le jambon macédoine.
Des conserves? Mais scandale !
Maître-mot des recettes des années 70’s: rapidité, facilité, économie. Pas un hasard si les desserts rois de ces années-là sont l’œuf à la neige ou le clafoutis, si on commence à recevoir autour d’une fondue plutôt que d'un menu élaboré. En toute logique, cuisiner à base de conserves s’impose: les femmes bossent (saletés de féministes), ont moins de temps pour courses quotidiennes et cuisine. La pêche au thon, c’est l’archétype de cette cuisine d’assemblage. Pêches au sirop, thon en boite, mayo industrielle1: on sale, poivre, on mélange bien et on fourre les pêches, c’est tout! Si on veut on peut aussi ajouter de l’oignon ciselé, du persil et une cerise au marasquin, pour le chic.
Des recettes tout à fait dans l’air du temps 70’s, conserves et sucré-salé, comme un pied de nez aux classiques gastronomiques.
Si ces dernières années, le retour à la “naturalité”, l’essor du bio, la recommandation de manger plutôt des produits frais s’est imposée, cette cuisine d’économie2/ facilité n’a pas tout à fait disparu. Plusieurs mags se sont remis à la cuisine de “fond de placard”, et c’est une excellente chose. Rendre accessible l’acte de se nourrir, en tenant compte des contraintes économiques, sociales, environnementales (manger de l’avocat c’est pas super super), de temps et de capacité (handicaps divers, ou maladies) est presque une responsabilité sociale. N’oublions pas que la plupart du temps c’est aux femmes à qui échoit la responsabilité des repas.
“On ne dit plus ceviche, c’est ringard”
Voilà ce que m’a asséné un chef (que j’adore nonobstant) il y a quelques jours, et ça m’a grave fait cogiter. C’est vrai: à force de baigner dans l’univers gastro, on en vient à juger de façon très péremptoire ce qui est ringard, et ce qui ne l’est pas, moi la première.
On a créé chez les chef·fes cette volonté d’être tendance - si possible avant la tendance - de se démarquer et surtout, ce rejet du démodé. Quand j’étais en école hôtelière, je me souviens parfaitement de l’exhortation faite par mes divers profs de cuisine à mettre de la couleur sur nos assiettes. Les dés de tomates mondées, le persil haché, voire la tranche de citron étaient quasi obligatoires, peu importe qu’en termes de saveur ils n’apportent aucune plus-value, peu importe aussi la saison (les tomates, en janvier, c’est moyen). Il fallait faire des fleurs avec les radis, les concombres ou les carottes, et des petits fagots de haricots au lard. La salade frisée était reine: elle prenait place partout, avec la vinaigrette obligatoire, et puis quelques oignons tige hachés. Elle était là, narquoise à côté de l’entrecôte, du filet américain, de la terrine de poisson, la frisée, fourbe, amère, : celle que tu penses attraper en un seul coup de fourchette et qui toujours mal coupée se déploie de façon maléfique, t’empêchant de manger avec dignité. #balancetafrisée
Derrière le dressage un peu ringard peut se cacher une vraie cuisine de plaisir.
Aujourd’hui, tout ça représente le summum du ringard: tout ce qui se trouve sur une assiette devrait être un produit de saison, fait pour être mangé, et même devrait apporter quelque chose au plat en termes de goût ou de texture. Mais c’est sans compter sur ce truc impalpable qu’est l’émotion.
J’ai un plaisir fou à voir ressurgir, au hasard d’un resto souvent familial, ce dressage un peu ringard. Le Delft ou l’arkopal me font tressaillir de joie absurde, parce que je sais que là peut se cacher une vraie cuisine de plaisir. Pas toujours: parfois c’est de la paresse, un chef qui assemble depuis trente ans les mêmes éléments insipides. Mais quelquefois, il s’agit d’autre chose: un tour de main, un certain sens de l’assaisonnement, un goût sûr pour des sauces bien faites, des cuissons impeccables.
C’est la pomme duchesse maison sans gras excédentaire qui croque et puis fond, c’est le vol-au-vent où on n’a pas lésiné sur les gros morceaux de volaille, les champignons frais, le feuilletage. La sole meunière entière avec des pommes vapeur. Les vraies croquettes, de fromage ou de crevettes grises: mises à cru dans l’appareil, pour le bonheur des papilles saturées d’iode. Le boudin noir aux pommes caramélisées et sa purée au beurre. Le pigeonneau sauce poivre, présenté en timbale de cuivre. Ces assiettes là3, c’est un ronron nostalgique, la voix de mamy qui gronde car t’as pas mis ton paletot, tiens prends un cécémel chaud, c’est ce retour à ce qu’on connait bien, intimement même. Il y a là, sincère jusqu’au bout, un vrai désir de nourrir. Pas d’épater, pas de laisser sa signature, non, juste nourrir les gens.
Et c’est à mon sens ce que certain·e·s oublient parfois: la fonction première du restaurant est de nourrir. Alors peu importe les modes, peu importe les dénominations qui changeront encore soyons-en certain·es (à ce sujet, si l’œuf parfait pouvait repartir dans les tréfonds de l’enfer d’où il est issu, merci bien), peu importe l’opposition entre conserves ou aliments frais, cuisine mitonnée ou au micro-ondes, ce qui ne bougera pas, c’est le plaisir de manger des choses rassurantes, qui nous ramènent à l’essentiel: l’intention de nourrir avec amour.
Le vin de la semaine
Il y a mille et une raisons d’aimer les vins italiens: en voici encore une autre. Ce cataratto sublime, fait en macération (on laisse les peaux imprégner le jus à contrario des blancs classiques) est un pur soleil. Un nez d’une délicatesse arachnéenne, une bouche fantasque où les fruits tropicaux jutent d’amour, une finale longue et qui demanderait à s’allonger là sur les transats, et laisser s’écrouler le monde autour de nous en écoutant Cohen.
Le livre de la semaine
Bon, ok, ce n’est pas tout à fait un vrai livre (quoi que, peut-être, un jour?), mais une création graphique librement inspirée d’un commentaire sur mon livre à paraitre, ou plus exactement son titre.
Et je dois bien avouer que les réactions sur le titre (et uniquement lui, puisque le livre n’est même pas encore imprimé) me font beaucoup ricaner et reflètent à quel point il était temps d’aborder le sujet.
“A quand le cigare LGBT ou l’armagnac multiculturel?”, “Mettons les bretts ou l’acidité volatile au masculin, il est injuste que ces défauts soient féminins”, “ A quant la suppression du vin BLANC suprémaciste insupportable …”4
Qui est pour en faire des tshirts?5
Allez, on se retrouve dans une quinzaine, soyez sages comme des chatons.
Sand
Pas besoin de thon frais ou pêches du marché. Tout l'intérêt de cette recette est dans son implacable et rassurante reproduction quelles que soient les saisons.
Certes, on peut objecter qu’acheter des produits frais et les transformer soi-même représente souvent un meilleur rapport économique, cependant c’est occulter le temps et les ressources que cela nécessite, en termes d’achat/ préparation/ conditionnement. Tout le monde n’a pas l’âme d’un·e batchcooker.
Ces plats, ce sont mes référents à moi. Mais on peut aisément remplacer par la cuisine qui a baigné son enfance, d'où qu'elle vienne
Selon une légende urbaine tenace, les féministes écrivant des livres seraient riches à millions. D’après mon contrat d’édition, je peux espérer toucher 8% du prix HTVA de mon livre (vendu à 10 euros TTC), une fois déduit le montant de l’à-valoir, une somme forfaitaire d’avance sur droits versée à la signature du contrat. Autant vous dire qu’on est loin de palper la grosse moula.
en filant un coup de pouce à une asso au passage?