Orso e limone
Aujourd'hui au programme : une série géniale, une recette italienne ou américaine, à base de veau ou de poulet, on ne sait pas très bien, et un régime 100% viande et beurre.
Cela faisait très longtemps qu’il était sur ma liste “à regarder plus tard”. J’imagine que vous aussi vous avez ce genre de listes, que ce soit pour des séries, des films, des livres… Un genre infernal d’ailleurs: le tonneau des Danaïdes en fait. Mais voilà: la semaine dernière, je me suis octroyé un jour de congé supplémentaire. Pour travailler. Je sais, c’est illogique mais pas tant que ça. J’ai encore quelques semaines pour finir d’écrire ce qui sera j’espère un très chouette bouquin. Et plus ça va, plus je connais la méthode qui me permet d’être efficace: personne pour m’interrompre, le casque sur les oreilles pour m’isoler de l’extérieur, et dans les oreilles, la même playlist en boucle. Je ne sais si ça tient de la technique de Pavlov, mais boum, j’entends “Calm down” de Taylor Swift 1 et je sais qu’il faut me mettre au boulot. Et comme je suis un être infiniment complexe (non), j’aime à m’octroyer des récompenses du style “après tant de signes, je regarde un épisode de…”.
The Bear. La claque. Je ne suis pas la première à l’écrire, j’espère ne pas être la dernière, mais c’est probablement la meilleure série culinaire 2 que j’aie vu depuis longtemps. L’intensité des services en cuisine, l’ambiance, les personnages, tout est minutieux, au cordeau, avec un jeu d’acteur·ices absolument incroyable. Je n’aime pas lire ce qui se dit d’une série avant d’avoir regardé, comme lorsque je goûte un nouveau vin j’essaie d’en savoir le moins possible3 donc je ne vous en dirai pas plus ici, mais si vous voulez un argumentaire plus détaillé, je vous engage à lire ceci.
Si je vous en parle, c’est parce qu’une scène en particulier m’a marquée: une vraie scène “de cuisine”. Carmen, le chef, reproduit une recette familiale devant ses collègues chef·fes: une piccata di pollo. Citron, câpres4, un peu de beurre, ça ne pouvait que me plaire. Je ne sais pas si vous avez pris des résolutions particulières cette année, les miennes sont au nombre de deux: trouver la paix intérieure et tenter de nouvelles recettes un peu plus souvent. 5 J’ai donc cuisiné un couscous au poisson 6, des dim sum 7 et j’étais bien partie pour faire une piccata. Sauf que.
Première recherche internet, première déconvenue: dans la scène de The Bear, il met de l’ail. Genre plein. Or, je ne vois pas de trace sur les recettes italiennes que je trouve. Je l’évoque avec mon céleri aka Fufu.
Ce qui nous apprend que je déteste la sauge, vraiment si vous ne m’aimez pas, obligez m’en à en manger, niveau torture c’est high level. Et que les mots “recette italo-américaine” sont importants. Et me voilà à googler frénétiquement pour comprendre.
Je dois dire que j’ai de bien maigres indices sur l’histoire et la provenance réelle de ce plat à croire que tout le monde s’en fout sauf les espagnol·es puisque c’est dans cette langue que j’ai trouvé l’article le plus complet sur le sujet (wtf). En gros, on est à peu près sur la ligne d’un plat d’origine italienne, du nord (ou de la Sardaigne d’après d’autres sources) mais composé plutôt de veau, éventuellement d’espadon, selon les ressources disponibles. La définition italienne plus généralement acceptée est donc que la piccata est une préparation de fines tranches de veau aplaties et farinées, puis cuites et servies dans une sauce au citron et câpres. Le mot viendrait de picar qui lui même viendrait du français “piquer” car c’est un plat qui se mangeait en piquant des petits morceaux à la fourchette. Les immigrant·es italien·nes auraient apporté cette recette dans leurs bagages aux USA dans les années trente, fort opportunément car à l’époque le veau était peu cher, même moins cher que le poulet. C’est un peu plus tard que suite à la hausse du prix du veau, et de possibles scandales associés que le poulet est devenu la star. Fun fact, on trouve aussi, mais moins fréquemment une recette de pollo alla francese 8, dont la variante avec la piccata di pollo semble être que la viande est panée à l’œuf et à la farine. Martha Stewart9 a popularisé la piccata di pollo et elle est devenue ensuite un incontournable du répertoire américain. Est-ce qu’on y ajoute de l’ail, des oignons ou de la sauge, comme j’ai pu le voir sur différents sites? Est-ce qu’on met du bouillon de poulet ou plutôt du vin blanc pour réaliser la sauce? Du côté de l’Italie, il semble que non, mais si on veut être cohérent·e il faudrait alors utiliser du veau et seulement du veau.
Vitello o pollo, ognuno ha il suo segreto.
La constante reste: liquide + jus de citron, réduction + câpres, et on monte ça au beurre. 10
Une recette d’une simplicité totale, même un homme peut la faire:
On passe les escalopes de poulet dans la farine. On les cuit dans de l’huile d’olive bien chaude, puis une fois dorées, on les met de côté. Dans la même poêle, on splash le jus de un ou deux citron(s), un peu de vin blanc, on laisse réduire sur feu vif. On y met une petite poignée de câpres, on peut y ajouter des tranches de citron (honnêtement c’est pour la déco), et puis on baisse le feu, et on incorpore du beurre froid pour lier. On y plonge la viande, on la nappe de sauce, et on met du persil haché, on poivre et éventuellement on sale (attention aux câpres et à l’acidité des citrons).
En Italie, elle serait servie après les pâtes, donc sans “accompagnement”. Aux USA, on y ajoute souvent des pâtes / du riz. Perso, j’ai opté pour pâtes et la Némésis de Gérard, 11 du chou-fleur.
Partager c’est à peu près tout le contraire de ce nouveau régime que je vois fleurir un peu partout sur Instagram en ce moment, la diète Lion. 12 Comment vous décrire ça prosaïquement ? Figurez vous des vidéos de nanas (principalement) toutes pimpantes qui vous partagent leur "what I eat in a day" du jour sauf que ce qu'elles mettent dans leur assiette a deux natures, et deux natures seulement: du beurre et de la viande. Littéralement. Des quantités absurdes de viande, du petit déjeuner au diner. 13De la viande à rien, sauf au beurre, à peine assaisonnée de sel14, sans sauce, légumes, ni ail, ni oignon, ni herbes, ni accompagnement d'aucune sorte. RIEN. C'est absolument terrifiant autant que captivant. Bien évidemment, comme tous les régimes "miracle", il y a au départ une personne (ici, malade, dépressive, etc) qui aurait guéri miraculeusement grâce à cette diète et qui vous encourage à faire de même. Dois-je préciser que c'est bien évidemment du 100% bullshit? A tel point qu'on vous prévient même que vous aurez probablement des carences (no shit Sherlock) et qu'il faudra vous supplémenter grâce à l'achat de poudres sur Amazon. Quant à l'usage de beurre (que certaines vont jusqu'à croquer, la plaquette, croquer la plaquette de beurre), est-ce pour aider à passer ce qui va constituer leurs selles après trois semaines de full barbaque? Je n'ai même pas parlé de l'hérésie écologique de ce genre de caprice parce que c'est déjà problématique sur plein d'aspects mais il est évident que c'est complètement merdique.
Vraiment, ce genre de choses me dépasse, les régimes hyper stricts ou restrictifs, les cures pour guérir de ceci ou ça, alors que - et j’en suis de plus en plus persuadée - la clé pour être en bonne santé ou tout simplement heureux·se n’est pas d’avoir une alimentation hyper rigide, saine à outrance, ou basée sur un seul type d’aliment mais de diversifier un maximum, de ne jamais culpabiliser et surtout de prendre du plaisir à ce qu’on mange. Ingérer un aliment c’est faire appel à trois “zones” de notre cerveau: mémoire, émotion, plaisir. Si l’on est un·e professionnel·e du goût, comme un·e sommelier·e, les connexions au goût mémoriel sont plus rapides et plus efficaces, parce qu’elles sont répétées, et même surentrainées. Iels ont donc plus de facilité à verbaliser une saveur, en général. Mais tout le monde sait goûter: nos émotions, nos souvenirs olfactifs pallient la mémoire plus précise.
J’en parle depuis quelques mois dans cette newsletter, je suis assez fascinée par ce qu’on met dans notre assiette et pourquoi. Plus généralement j'adore explorer le goût 15et la manière dont les cuisines se transmettent, évoluent, dont les recettes voyagent, s'adaptent : sur un continent ou un autre les ingrédients diffèrent, le contexte social ou économique n'est pas le même, 16pourtant il y a toujours ce goût qui vient de loin, primal et qu'il faudra satisfaire. Quitte à s'arranger avec l'origine, quitte à en faire un domaine à soi, une autre recette, une autre lecture, mais pas moins authentique. Le goût est politique: il dit presque tout de nous, de la façon dont nous choisissons de cuisiner à la manière que nous avons de le partager.
Je découvre toujours les artistes avec mille ans de retard: j’aime assez le culot de cette meuf, j’aime assez qu’elle profite de ce que les mecs lui font pour en faire des chansons et se faire du pognon avec.
Ma Fufu n’hésite pas à dire “série tout court”.
Parce que mes connaissances techniques font que si je vois sauvignon, je vais chercher tel ou tel arôme, tel type de structure, et même si c’est impossible, j’essaie de préserver au maximum mon goût “émotionnel ” en limitant les infos que j’envoie inconsciemment à mon cerveau.
Le cerveau - et le gout - sont fascinants. J’ai très longtemps eu une aversion pour les câpres, probablement une expérience antérieure juvénile qui m’avait traumatisée, ou liée à un épisode de maladie, je ne m’en souviens plus. Pendant des années, l’idée même des câpres me donnait des haut-le-coeur. Jusqu’il y a un ou deux ans, ou je me suis mise à les apprécier. A les adorer, en fait. J’imagine que les connexions liées à mes récepteurs gustatifs, eux-mêmes associés à “dégoût” se sont défaites?
Là encore sur une inspiration de ma Fufu. Je vous ai déjà parlé de cette meuf incroyable?
Une recette tunisienne. Que ce peuple me pardonne, je me suis largement inspirée de la recette classique mais sans boulettes et avec les poissons que le poissonnier avait de disponible. Je n’ai pas mis de pois chiche car autant Gérard que l’Homme trouvent que je fais déjà bien assez comme ça de lobbying pour ce qu’iels considèrent comme l’oeuvre du démon. Soit. C’était délicieux. La prochaine fois j’accorde plus de temps de cuisson au bouillon et surtout je le corse un peu en mettant des carcasses.
Une première pas trop mal non plus: reste à travailler l’épaisseur de la pâte. Et j’ai enfin compris pourquoi la plupart du temps il y a une feuille de chou en dessous. Parce que sinon ça colle à la plaque vapeur. Hé oui.
Amusant qu’on vienne impliquer les français·es là dedans, d’un coup mais lire note 10.
Martha stewart est une femme d’affaires et animatrice de télévision, spécialisée lifestyle et recettes. Un peu passée par la case prison, aussi.
Fun fact: en donnant juste ces ingrédients, on pourrait signer une autre recette, issue du patrimoine français, la raie à la grenobloise. Pas loin d’une meunière, dans l’idée puisqu’elle se compose de beurre noisette additionné d'une garniture Grenobloise (câpres, suprêmes de citron, de petits croûtons, persil). La différence essentielle étant qu’ici on part du beurre, que l’on va aromatiser, alors que dans la piccata il sert de liant.
Le soir on aime bien regarder ensemble des reels de cuisine, et c’est à croire que tout le monde s’est donné le mot. CAULIFLOWER EVERYWHERE
Bear, Lion, c’est la jungle ici bébé.
Si vous êtes curieux·ses un petit tour ici, avec un peu de conspirationnisme, du gras et des images sexy en diable.
“Make sure your salt doesn’t have added ingredients!!” peut-on lire sur le site de Lion diet.
Peut-être est ce le centre de mon prochain livre allez savoir.
A écouter, ce très très chouette podcast autour d’un livre paru chez Epure “Tiens, mange ! Tu aimes?” sur la transmission du goût, d’un pays à l’autre, d’une génération à l’autre.
Croquer la plaquette de beurre 😲