Petit supplice de Tantale, ces foutues photos de vacances paradisiaques partout alors que je passe un été très travaillant.
Foin des îles, de la salade pastèque olives féta, des villages immaculés sous un soleil plombant, le thème du jour sera le gras. Sixième saveur, peut-être. En tous cas, c’est ce que défendent certain·es chercheur·euses, qui considèrent que le gras est plus qu’une valeur ajoutée et une composante essentielle de notre goût. Je rappelle pour celleux qui ont loupé l’épisode cinq saveurs de base, que si on a longtemps considéré que nous étions muni·es de récepteurs pour quatre saveurs (salé, sucré, acide, amer), on y a ajouté il y a quelques années une cinquième roue: l’umami.
Umami, umami blues? Ok, non, pas tout de suite et puis le bleu n’est pas une couleur alimentaire. 1 L’umami donc c’est “savoureux”. Ce qui est soi n’est pas une définition: il y a plein de choses que je trouve savoureuses. Par exemple, quand un homme s’échine à m’expliquer un sujet que je maitrise pourtant, que je l’écoute en silence et lui porte l’estocade en complétant sa diatribe de choses qu’il ne savait pas. Ou en l’infirmant, encore plus savoureux.
Savoureux n’est qu’une traduction donc: on utilise le terme umami et ce dans toutes les langues. L’umami est apporté par le glutamate et ses composants qui en entrant en contact avec la salive humaine (ou animale, hé oui, nos petits copains à quatre pattes ou plumes peuvent aussi détecter des saveurs) apportent une sensation de rondeur, d’onctuosité particulière, comme un câlin lingual très délicat. On a identifié et nommé l’umami début 20e siècle, au Japon. Ikeda l’a décelé dans le kombu et le dashi. D’autres chercheurs se sont ensuite penchés sur son travail et ont découvert des variantes de ce goût umami notamment dans les shiitakes. Pour trouver de l’umami, penchez vous sur les viandes fumées, certains légumes et aussi les éléments fermentés et vieillis, comme les sauces sojas ou les fromages. Ah, cheese, on y revient toujours n’est-ce pas?
Mais ne digraissons pas trop ! 2 Le gras donc en viendrait à être considéré comme une saveur à part entière, et même s’il n’y a pas encore consensus (dans le respect du consentement bien sûr) on s’en approche. Et c’est plutôt une bonne nouvelle: on diabolise le gras, depuis toujours. Par exemple, quand vous mangez des frites, des beignets, du beurre sur une tranche de pain, du fromage… Et pourtant, cette sensation là, quand le gras vient tapisser le palais, et puis le croustillant, le fondant, le crémeux qui l’accompagnent… Parce que le gras n’est pas que gras: il permet à la matière initiale, une patate, une bête patate, une triste patate de devenir un fier bâtonnet, rigide, doré, croustillant et fondant à la fois. Il se love sur une tranche de pain, une bête tranche de pain, une triste tranche de pain et amène sa rondeur, sa douceur, ses petits grains de sel. Il donne du relief, de la profondeur, en deux mots: une joie intense. Honnêtement, une vie sans gras, c’est plat comme un épisode de Derrick, long comme attendre la démission de Darmanin, pas drôle comme un mec cis de base.
Je me faisais cette réflexion l’autre jour, le nez dans un verre de vin. Le rapport Georgette3, me direz vous? Le vin ce n’est pas souvent gras: ça peut être acide, amer, sucré, parfois même on peut y détecter une pointe de sel ou d’umami4. Seuls les vins très très riches en sucre peuvent offrir une dimension plus “grasseyante”. Quelques vins blancs passés en barriques aussi. Mais quand un vin sec est visqueux comme du savon liquide, ça déstabilise. On appelle ça “faire la graisse”. Je vous l’accorde c’est très rare: à un point tel que quand j’ai étudié la sommellerie, on m’a enseigné que c’était une maladie disparue.
Maladie, défaut, définissons le un peu. D’abord parlons de ce que ça fait au vin: quand vous le versez dans le verre, il parait huileux, avec une consistance sirupeuse, qui “colle” un peu. En bouche, cette texture huileuse est très marquée, comme si vous buviez un vin enrichi en glycérine : du gel douche quoi. Cela n’a a priori pas d’impact sur les arômes au nez, ça ne modifie pas les arômes en bouche, mais bien la texture, en y ajoutant cette saveur grasse. Et du coup le vin est très, mais très très chelou: désagréable alors que ses arômes au nez et en bouche sont plutôt plaisants.
Notre goût est ainsi fait que pour peu qu’on joue sur la texture d’un aliment, ou sur sa couleur, nos perceptions de l’aliment ou la boisson peuvent complètement changer, même si intrinsèquement ses saveurs de base n’ont pas été modifiées. Fou non? Mais ça valide complètement l’idée que le gras est une saveur puisqu’en en apportant, intentionnellement ou non, on modifie le goût.
Pour en revenir à notre graisse et comprendre comment et pourquoi ça se passe, il faut revenir au moment de la fabrication du vin: après la fermentation alcoolique (celle qui transforme le sucre en alcool), il y a une autre transformation qui va intervenir, qu’on appelle la malolactique. En gros, elle sert à transformer l’acide malique en acide lactique, un acide moins acide. On la fait toujours sur les vins rouges (parce qu’on n’aime pas l’acidité dans les vins rouges CQFD) et parfois complètement, parfois à moitié, parfois pas du tout sur les blancs et rosés. Normalement, pour que tout se passe sans encombres, ce sont des bactéries lactiques qu’on appelle oenococcus5 qui opèrent la malolactique (pour les branchouilles du pinard, “la malo”, tout court. Si un jour vous êtes dans une cave, demandez d’un air entendu “et le blanc là, il a fait sa malo?”. Effet garanti).
Dans le cas de la graisse, la malo se passe différemment. Je vais citer Maya Sallée une vigneronne parce que je trouve son explication à la fois scientifique et claire:
La maladie de la graisse n’est pas grave, c’est même plutôt qualitatif une fois que c’est passé (parce que ça donne du « gras » en bouche).
Ce sont les pediocoques, des bactéries lactiques, qui font des chaînes de glucanes. Ce n’est pas une contamination bactérienne, les pedios peuvent faire la malo tout autant que les oenococcus.
Une fois qu’elles ont fini de bosser, les chaînes de glucanes se défont d’elles mêmes. C’est physique, réversible avec le temps, environ 8-10 mois selon le stade. On peut aussi défaire mécaniquement la viscosité, il faut des vibrations fortes (donc secouer, carafer ça marche mais ce n’est pas une question d’oxygène) ou passer sur un tamis (filtration au domaine si c’est encore en cuve).
Pour moi, ce n’est pas un défaut, les vins qui ont fait des graisses sont bien meilleurs après. Il faut être patient.
Donc si on reprend bien tout: les oenococcus se sont fait supplanter par les pédiocoques, qui non seulement on fait la malo, mais en plus ont fait les malignes en créant peperlito des petites chaines de glucanes au calme, chaines de glucanes qui sont donc: le gras.
Ces chaines de gras se désolidarisent si on les secoue très fort6 mais elles auront tendance à se reformer quand même après, tant que l’intégralité de la mission des pédio n’est pas accomplie. Alors j’ai testé sur mon verre de vin visqueux là: effectivement, secouer le vin assez vigoureusement fait disparaitre la texture glycérine et après quelques instants… ça revient.
Mais pourquoi ce come back de cette “maladie de la graisse?” Le wokisme, sans doute, encore lui, toujours cette tendance à faire tache ! Plus sérieusement, chaque fois que j’ai eu affaire à cette étrangeté, c’était sur des vins peu voire pas protégés de sulfites. Est-ce à conclure qu’il y a un lien de cause à effet? L’échantillon est un peu court pour être scientifique.
Mais ce qui m’intéresse particulièrement c’est la fin du commentaire: certes, les chaines de gluc’s là, c’est hyper relou mais après ça va mieux et surtout le vin est meilleur… ce qui tendrait à confirmer deux théories que j’ai décidé de prendre comme axiomes de vie:
Le gras améliore tout. Dans le doute, rajoute du beurre (ou de l’huile).
Quand on s’accorde le temps qu’il faut, tout finit par aller pour le mieux.
Le temps justement: c’est peut-être se dire qu’il fait beau, qu’on n’a a priori rien qui nous retienne de prendre des billets pour où on a envie d’aller, avec la personne que l’on veut.
A l’heure où vous recevrez cette newsletter, je serai avec la meilleure petite fille de l’univers dans le train en partance pour la mer du Nord. Dans notre sac à piquenique: samossas courgettes ail et fines herbes, crackers au fromage de brebis, œufs durs, salade de tomate et artichaut vinaigrette… Des années que je ne suis plus allée à la plage, comme ça, pour rien, juste une journée à avoir les cheveux emmêlés, la peau pleine de sable et de sel: rien ne me rend actuellement plus heureuse que cette perspective.
Sur ce, je vous dis à bientôt!
Private joke à demi puisque depuis un long moment maintenant mes enfants débattent entre elleux du fait que le bleu soit alimentaire ou non. Il est vrai qu’assez peu d’éléments comestibles sont naturellement bleus (en tous cas dans ses nuances les plus vives). Pourquoi? Parce que les anthocyanes, des pigments qui peuvent donner ces couleurs sont extrêmement sensibles à l’acidité, pour révéler le bleu, il faudrait un pH compris entre 2 et 4, soit très acide. Et héritage de notre cerveau reptilien: si c’est rare, c’est chelou donc on n’en bouffe pas parce que c’est sûrement dangereux. Mais comme le goût est aussi une construction culturelle, influençable par notre milieu et les relations aux autres, le bleu tente une percée dans nos assiettes.
Cette fantaisie orthographique qui me permet de replacer habilement le sujet vous est offerte par l’amicale de la nuit d’insomnie, elle-même sponsorisée par un chien hurlant sous la lune.
Depuis que j’ai pris pour pseudo Sand sur internet, c’est-à-dire des milliards d’années, on me rappelle à cette bonne vieille George. Et pourtant, rien à voir, je suis bien plus basique que ça (d’où je ne suis pas bleue, si vous avez cette blague, notez la au périodique).
Sel ou umami, ce qui est souvent défini comme “salin” ou “minéral”.
Pour ça qu’elles sont vénères, sans doute, être une bactérie à cornes, c’est ultra relou pour faire son taf de bactérie, ça se prend dans les chaines de précurseurs d’arômes et tout.
Un peu comme des mecs quand un cas d’agression sexuelle dans leur entourage leur est révélé, mais ils reforment vite les groupes une fois le malaise dissipé, comme les glucanes en fait. Peut-être ça peut être une bonne insulte? Espèce de glucane visqueux, va! T’es relou et collant comme une chaîne de glucanes.
je perçois plus facilement la saveur gras que umami, mais, enfin et gr^ce à ces explications, j'ai un peu mieux cerné ce concept umami, merci.
Au souper j 'ai lancé " il a fait sa malo" ? et j'ai eu une réponse moyennement satisfaisante selon ma lecture mais très assurée néanmoins : je pourrais écrire 3 pages ( ou en essai) à partir de ça. Merci pour cette expé invivo. Ils sont si prévisbles.
Et merci je pourrai donc rajouter à "catéchumène"" et" moule à gaufre" etc : "Gluant Glucane" qui est pas très ragoûtant. :) merci et bravo pour ce post