Au programme ce dimanche, de la barbaque, du caca dans les bois, un jugement pour sexisme, un bon bouquin, une exclusivité MONDIALE et un coup de cœur liquide. Bonne lecture !
Au hasard de mes pérégrinations sociales (je scrollais sur facebook, en somme), je suis tombée sur cette publication complètement hors sol.
“Caveman”, oui, c’eut pu être un jeu de mots foireux avec caviste, l’homme de la cave, haha très bon Jean-Mich. Sauf que pour quiconque a fait un peu d’anglais, le “caveman” il est plutôt du genre à se tripatouiller le silex en rongeant des glands (ou l'inverse) qu’à évoquer la splendeur d’une côte-rôtie.
De la difficile inclusivité des magazines
Griffe d’ours, patte d’ours… L’ours, justement, penchons-nous-y: on y note pas mal de plumes féminines. Ces féministes jamais contentes là ! Le magazine n’est actuellement plus en ligne, mais qu’il aie été écrit, édité, publié sans qu’à aucun moment personne ne se soit dit “pause, peut-être qu’on déconne là”, pose question.
Œuvre de pure fiction mais allons jusqu’à penser que les plumes féminines de la rédaction - certaines d’entre elles - auraient pu émettre quelques doutes sur la pertinence visuel / titre. Combien on parie qu’elles auraient récolté en guise de réponses:
on peut plus rien dire
vous voyez le mal (le mâle haha très bon Jean Mich) partout
y a des femmes dans la rédac’, voyez bien qu’on est pas sexistes
Autre exemple, Tanin, nouveau mag’ qui va “casser les codes” du vin. Une femme à la tête et:
Si on se penche sur les autres titres “food” on a quelques perles comme Gueuleton, Grand Seigneur ou BEEF des magazines conçus pour un lectorat masculin (Beef, pour les hommes qui ont du goût) qui prônent un virilisme conquérant, allant pour ce dernier jusqu’à sexualiser la viande / la bouffe dans sa titraille. Et du côté presse généraliste, on lit parfois des interviews surréalistes comme celle-ci:
“La côte de bœuf, c’est la Porsche de 2021”
Source de l’extrait: Le Parisien
Cette histoire de côte de bœuf peut nous faire bien rigoler tant elle parait caricaturale mais cette vision là, si elle est profondément stupide, continue à infuser dans nos cerveaux, nous cantonne à la dichotomie masculin = force donc protéines et gras, féminin = régime et légumes. Manger l’animal, c’est manger son ennemi, sa force, se l’approprier. Manger une salade verte… et bien c’est manger de l’herbe, comme un animal. Homme fort, femme passive: des clichés qui ont la peau et la dent dures.
Vrai homme manger viande carbonisée sur feu
On accuse beaucoup les féministes de déviriliser l’homme, de le réduire à un être sans substance, sans essence, et surtout pas sa précieuse essence de bite qu’est la virilité (est-elle inflammable? Nul·le ne le saura). On ne peut plus rien dire, tenir une porte à une dame, manger de la viande, draguer en rue, manger du gluten, pisser sur les bégonias, violer des femmes franchement où-va-t-on?
La bouffe et la bibine sont des champs de réappropriation de cette virilité pour certains, quitte à en avoir des pratiques dangereuses comme une alcoolisation massive ou cuire des steaks “caveman style”. Directement dans la braise oui, car vrai homme mange viande carbonisée, vrai homme pas craindre cancer.
D’ailleurs, en 2015, c’était le brosé (le rosé pour les bros, les vrais mecs quoi) qui faisait une apparition remarquée notamment du côté anglophone.
Car hey, « real men drink rosé »
“When offered a beer it takes courage for guys to choose a glass of wine instead, and even more strength for said guy to accept a glass of pink wine.”
Du courage. Il faut du courage aux mecs pour choisir du vin rosé à la place de la bière. Petits choux.
Ne nous leurrons pas, derrière cette stratégie commerciale, il y avait des parts de marché à conquérir. Le rosé ayant à peu près laminé tout ce qu’il pouvait en termes de communication envers les femmes et les jeunes, il ne pouvait que s’essayer à une autre conquête: les hommes, en lui donnant une image virile. Résultat, ils représentent maintenant 45% des buveurs de rosé, hé ouais.
“Women have to deal with patriarchy, sure, but men just discovered rosé – so who’s the real victim?”
Et les choses ne changent pas tant que ça, six ans après. Je dirais même que c’est pire: comme si les mouvements de “libération de la parole” (elle n’a jamais été libérée, vous n’écoutiez juste pas les femmes) avait in fine créé une sorte de monstre, d’effet boomerang avec des hommes qui veulent à tout prix affirmer qu’ils sont des hommes, des vrais. En mangeant de grosses côtes de bœuf, et en buvant du vin qui avant était un vin pour femmes mais plus maintenant qu’on l’a astucieusement rebrandé donc.
Le gras c’est la vie, mais surtout le pouvoir masculin
Si l’on fait un petit tour des émissions / productions autour de la bouffe, on a le choix entre des gueuletons ou des bons vivants (voire les deux), toujours au masculin viandard. Il existe des articles pour vanter comment booster son taux de testostérone par la bouffe. Il existe même - accrochez-vous c’est gore - des articles pour apprendre à “bichonner nos bébés” (comprendre: nourrir les hommes avec la nourriture qu’ils préfèrent). Je ne vous fait pas l’injure de vous révéler le nombre de femmes cheffes invitées dans TOP Chef cette saison (deux). Pareil, je ne reviendrais pas sur la phrase d’ Hélène Darroze à Sarah Mainguy, accédant à la finale de Topchef grâce à “son inventivité et à sa touche féminine” (sic). Laquelle fait une cuisine “très axée sur le végétal” (si on nous ne le répète pas 354 fois par épisode, un chaton est exécuté). Et que dire de la scène “découpe de l’agneau” façon Sarah, toute en maladresse et dégoût délicat.
De la cuisine des étoilés à celle du quotidien, dans les médias les seuls tenants et aboutissants sont masculins, quasiment exclusivement. On tolérera bien ça et là une femme pour venir nous parler légumes (bouh) ou pâtisserie (bouh aussi) mais de la même manière qu’on consent à engager quelques plumes féminines, pour ne pas être accusé de “non-inclusivité”.
Bonne vivante au féminin, ça n’existe pas.
Installer des femmes à la tête de rédactions, ou comme journaliste ne suffit pas à changer de paradigme1: il est nécessaire de repenser en profondeur aux termes, et images véhiculés. Agir sur les mots modèle la structure de la pensée, le langage et la communication font évoluer le fond. La représentation compte mais ce n’est pas seulement en employant des femmes qu’on combat le sexisme, des personnes racisées qu’on combat le racisme (et ainsi à décliner avec toutes les inégalités): c’est en repensant aux clichés et en les déconstruisant en offrant des images plus variées et moins binaires.
En termes de représentation, justement, bonne vivante au féminin, ça n’existe pas. Les hommes se congratulent du gras, exhibent de grosses côtes de bœuf ou de grosses bagnoles, ne rechignent pas à arborer une bonne bedaine, des cuisses épaisses, ou un double menton. On ne voit - on ne verra - jamais de femmes (et à fortiori des femmes grosses) mordre à pleines dents dans une côte de bœuf, un burger dégoulinant de sauce… Ou alors pour se moquer d’elles, ou envoyer des messages culpabilisants de santé publique. Nous tenons le rôle d’éternelles soupirantes du gras, condamnées au végétal comme une punition ou dans le meilleur des cas de figurantes anonymes dans les magazines où nous pourrions légitimement prendre place (sauf pour le huit mars, la journée de Lafâme et de l’aspirateur-balai).
Quoi de plus dangereux que ces femmes qui existent ?
Soyons honnête, ces photos (ont-elles été retouchées afin de grossir à dessein les traits, je me le demande) publiées sur Facebook, ont récolté quelques commentaires sur le physique de ces messieurs mais sans aucune commune mesure avec ce que des femmes grosses auraient du subir comme insultes. La grossophobie2, si elle concerne tout le monde, est particulièrement virulente lorsqu’il s’agit des femmes: contrôler le corps de ces dernières est une occupation à plein temps.
Rassurez-vous: il n’est toujours pas interdit de manger des côtes de bœuf, je confesse bien volontiers adorer ça. On peut juste s’interroger sur le fait de ce que publier une énorme pièce de viande comme un trophée sur Insta ou ailleurs renvoie comme image de nous. Ou sur l’obligation de surenchère viriliste dans laquelle se vautrent certains mags. Et rappeler qu’il y a mille et une façon de composer des salades3: même un homme - surtout un homme - devrait le savoir.
L’actu presque chaude
Jugement rendu pour la caricature SEXISTE parue dans le magazine En Magnum. Rappel des faits, ici. On peut écrire que c'est une caricature SEXISTE puisque le tribunal l'a considéré comme SEXISTE, et l'a écrit dans le jugement. C'est avéré, une caricature SEXISTE.
Néanmoins, le traitement médiatique de l’affaire montre ses biais et ses manquements. Combien de journaux / magazines / publications francophones sur le vin et la gastronomie ont évoqué l’affaire? Un seul: Vitisphère. En décembre, j’avais répondu à une interview pour un mag food, jamais publiée car “un ordre venu d’en haut, on ne souhaite pas mêler la politique à notre ligne éditoriale”.4
Comme si parler de sexisme (et d’un procès lié au sexisme, ce n’est tout de même pas rien) était un non-sujet. Ou bien est-ce que le monde de la gastro a trop peur d’ouvrir la boite de Pandore? Allez savoir.
Au registre les mots ont un sens, il est croquignolet de noter que Vitisphère bien que le nom d'Isabelle @cotedelamoliere et le mien soient cités dans le jugement nous anonymise et qualifie d'"activistes féministes5". Qu’un journal se revendiquant neutre utilise ce terme précis - et censément utilisé par la partie adverse - pour nous dépeindre en dit long sur sa neutralité, justement.
La bonne quille de la semaine
Ce n’est pas qu’une bière, c’est une bière au raisin. Je goûte beaucoup de bières en ce moment: l’envie d’autres contrées, et puis c’est professionnel, puisque je brasse un peu (faut bien apprendre). Celle-ci c’est total ma came: une effervescence très fine, du fruit mais sans forfanterie ou excès, une légère amertume et puis l’acidité qui va bien, et te donne envie d’aller te rouler nu·e dans l’herbe fraiche de rosée avec Sigur Ros en musique de fond. Des infos sur la brasserie? Clique donc ici.
En parlant de bière, nouvelle vague de révélations d’agissements sexistes, de violences sexistes et sexuelles, en ce moment. Gros remous du côté anglophone, et en francophonie? Silence, ou presque. Décidemment, les mondes du malt et de la grappe ont un souci avec ces sujets, par ici. Peut-être qu’une amorce de changement est là.
Le livre de la semaine
Je l’ai lu d’une traite, sans pouvoir le lâcher. Adeline Dieudonné, autrice belge, réussit le tour de force d’installer une ambiance en quelques lignes. Glauque, bizarre, voire carrément gore à certains moments (TW: viol, meurtre) ce n’est pas la lecture guillerette dont on se délecte sur la plage. Et pourtant, c’est un bouquin à lire. Sa peinture fine des personnages, et leurs histoires avec seul dénominateur commun cette station d’essence - croit-on - est un régal.
Et celui de septembre
Tadam! Regardez, y a mon nom sur la couv’: c’est mon dernier-né. Le manifeste pour un vin inclusif devrait être livré aux alentours du 2 septembre, et parlera du langage du vin, de comment il forme sa société et de comment on peut le révolutionner avec de supers intervenant·es, des sondages et quelques blagues (on ne se refait pas hein).
J’en parlerai plus longuement la prochaine fois: j’ai super hâte que vous le découvriez.
Edition Nouriturfu: les meilleur·es de l’univers.
Merci de m’avoir lue, à dans 15 jours les gens, la bise.
Sand
Pour aller plus loin sur le sujet genre et bouffe:
Steaksisme et Faiminisme, de l’excellente Nora Bouazzouni, aux non moins excellentes éditions Nouriturfu
La déferlante N°2: Dossier sur le genre et la nourriture, dans cette formidable parution féministe. On y trouvera aussi des interviews, un très bon papier sur Monique Wittig, entre autres, bref abonnez-vous.
Le podcast Point J: La bouffe est-elle sexiste ?
L’alimentation et les rapports de genre par Dounia Tadli
j’en veux pour preuve ce nouveau magazine des “plaisirs liquides au féminin” concentré sur les femmes du vin, et dont la première photo de couverture est une femme, de dos, robe longue fendue jusqu’en haut de la cuisse et talon aiguille. Une image ultra glamour reflétant la réalité des femmes de terrain ? (non).
grossophobie: l'ensemble des attitudes et des comportements hostiles qui stigmatisent et discriminent les personnes grosses, en surpoids ou obèses.
rien que ce midi, base de jeunes pousses, asperges rôties, artichauts à l’ail, fromage de chèvre et bleu, pommes vapeur et là-dessus une petite vinaigrette huile de noix-vinaigre de vin, mmmmh!
cette histoire de ne pas mêler politique et vin/ gastronomie, s’applique aussi au sport. Afficher un soutien antiraciste en mettant le genou à terre? ça n’a pas sa place sur un terrain, pour certain·e·s. Une rhétorique clairement de droite, voire d’extrême droite.
L'activisme politique est un engagement politique privilégiant l'action directe. C'est une forme de militantisme dont l'une des modalités peut être de braver la loi, s'agissant d'actions qui peuvent parfois être considérées comme violentes. Le terme « activisme » est quelquefois utilisé par anglicisme, pour désigner une activité ou un engagement politique dont on souhaiterait souligner l'intensité. Dans cette acception, le terme correct est « militantisme »