Voix de radio
C’est quoi cette voix?
C’est une remarque qu’on me fait souvent, après m’avoir entendue sur les ondes (ou au téléphone) et en ne m’ayant côtoyée que sur internet. “C’est drôle, je ne t’imaginais pas cette voix là”. Et chaque fois, je ne sais que répondre. Comme tout le monde, je m’entends mal, j’imagine que ma propre perception des sons n’est pas exactement celle qui est offerte au monde. Est-ce qu’il existe une distorsion du son, un peu comme ce qui est en jeu quand on se regarde dans un miroir? On a tou·tes eu au moins une fois cette impression étrange, sur des photos, de ne pas se reconnaitre. De se rendre compte que l’image que l’on a de nous, celle qui se reflète dans le miroir, est différente de celle qui apparait là, sur le papier glacé. Pas de panique: ce ne sont pas forcément vos ami·es qui sont mauvais·es photographes, c’est juste qu’à support différent, rendu différent. Que les angles, la lumière, la longueur de l’objectif peuvent influer grandement. Puis il y a les selfies: ce matin, dans la glace, vous vous trouviez plutôt bien et impossible pourtant d’en tirer un correct. Allez comprendre. A l’inverse, il y a ces quelques rares photos sur lesquelles vous avez l’impression d’être vraiment capté·es, dans votre essence, dans ce qui se rapproche le plus de vous et surtout dans ce que vous avez envie de faire passer au monde. De ce reflet que vous croisez tous les matins, et auquel malgré vous, vous vous êtes attaché·es. Cette photo représente ça pour moi, et je remercie encore infiniment Ollivier de l’avoir prise: c’était dans un vrai chouette moment, la dédicace à Rerenga Wines, chez Nathan, qui a été un vrai bonheur. Entre retrouvailles, rires, découvertes, vins, livres et même émotions, yeux embués et tout le toutim. Merci pour la joie, comme dirait Miossec.
Les yeux miroirs de l’âme, et la voix?
Mais revenons-en à nos moutons radiophoniques. Ma voix donc qui surprend. Parce qu’elle n’est pas très grave, pas en colère, que je n’ai pas un débit de mitraillette? Je l’ai déjà écrit, et dit mille fois: j’eus préféré avoir une voix rauque et suave, à la Fanny Ardant mais la fée qui s’est penchée sur mon berceau n’avait pas reçu le mémo. J’imagine que ce qui bloque chez les gens, c’est que je n’ai pas la voix de mon physique: on imagine les gros·ses avec une grosse caisse de résonnance et peut-être des voix à la dimension de leurs culs, allez savoir? Ou c’est mon apparente suractivité qui fait imaginer une voix différente, moins calme, moins posée.
Alors gros scoop: je suis la meuf la moins suractive du monde. Je passe un temps infini à m’organiser pour en foutre le moins possible, en fait. Et si j’avais un objectif de vie ce serait celui-là: ne pas en caler une, et glander jusqu’à ce que mort s’ensuive. Juste je sais très bien donner l’illusion d’en faire beaucoup, tout le temps: en vérité, je passe beaucoup de mon temps “libre” à buller (on me dit de dire “concevoir”), avant de me jeter à corps perdu dans le boulot. Ce qui explique à quelle vitesse j’écris mes livres par exemple: cinq, en cinq ans, ça parait fou. Mais si on les ramène au temps effectif passés à les écrire, ce n’est pas tant.
Je suis aussi très douce, et je ne vois pas ce que ça a de surprenant. Hem.
Tout ceci pour en venir au fait: j’adore utiliser ma voix. Et du coup faire de la radio. L’expérience sur Inter que vous pouvez (ré)écouter là si le cœur vous en dit m’a beaucoup plu, j’étais à l’aise, j’ai pu faire des blagues (qui est une de mes choses préférées au monde après sniffer le cou de ma fille et manger du fromage). Et effet collatéral non négligeable: les ventes du livre se sont envolées, ce qui fait qu’on est obligé·es de réimprimer. Les boomers et de façon générale tous mes détracteurs en PLS.
Les livres de la semaine
(oui, les. J’ai fait beaucoup de train. Conséquemment j’ai lu plus que d’habitude).
Je crois que c’était une première: j’ai lu ce bouquin et rencontré son autrice sur la même journée. Et face à elle, je me suis trouvée bête. Parce que j’ai adoré ce premier roman, parce que les personnages vont m’habiter longtemps, parce que j’ai aimé son écriture fluide et précise, parce qu’il m’a seriné une petite musique familière tout du long, parce qu’il y a des phrases qui sonnaient si juste que j’aurais aimé les souligner (mais je ne peux pas me résoudre à faire ça à des livres, allongez-vous, on va parler de ça, alors comme ça vous ne pouvez pas raturer des bouquins, ça fera soixante euros merci, en liquide pas par carte). J’aurais pu dire tout ça et plus encore mais je me suis retrouvée sans voix. C’est con de faire un métier où tout se noue autour de la parole, et quand on a des choses vraiment importantes à dire entre quatre yeux, ne pas arriver à les formuler.
Donc que raconte ce roman? Il s’agit d’une quête, d’une personne à la dérive qui part à Limoges (la preuve qu’elle va vraiment mal) dans le but de mettre fin à ses jours. Gai comme tout. Mais évidemment la destinée, une vieille italienne, un grand appartement, et de la bouffe vont se mettre en travers de son chemin. J’ai longtemps pensé à ce que ça m’évoquait (à part Céline Dion, vraiment Pauline est infernale, comment voulez-vous rester sérieuse en trouvant de ci de là des références même pas cachées, pfff): j’ai retrouvé un peu de l’écume des jours, mais à rebours.
Bref, c’est un très bon premier roman, et mes voisin·es de train peuvent en témoigner, elleux qui m’ont vue frotter subrepticement quelques larmiches à la fin du bouquin. Et tant qu’on y est, pour vous mettre un peu de beauté dans les yeux, je vous invite à découvrir l’art du kintsugi. Cette technique très ancienne et très belle peut aussi servir à “réparer” les corps, j’avais trouvé le travail de la photographe Marie Ployart infiniment poétique et délicat sur ce sujet particulier.
Aux endroits brisés, Pauline Harmange, Fayard
Savez-vous ce qu’ont en commun Fabcaro et Pauline H.? Limoges.
J’ai découvert Fabcaro assez récemment, et c’est bien simple, tout ce que j’ai lu de lui me fait hurler de rire. D’ailleurs “et si l’amour c’était aimer” est à la place d’honneur des livres chez moi, dans les toilettes, comme ça on peut le relire mille fois si on veut.
J’ai eu le plaisir de recevoir son dernier bouquin et le pied. J’ai eu droit à des “maman” exaspérés parce que je riais un peu trop fort dans le wagon mais qu’importe. Le pitch est très simple: une actrice de film de western se voit agressée, on lui a dessiné une bite sur la joue! Un détective pas très fute-fute est chargé d’enquêter. Va-t-il enfin comprendre que l’auteur est l’acteur principal du film?
Une idée un peu concon donc, la bite sur la joue, sert à libérer toute la loufoquerie de l’auteur: on alterne entre des planches de l’histoire et des planches où il se met en scène lui-même. C’est absurde, c’est brillant, bref, c’est un très bon moment de lecture.
Moon river, Fabcaro, six pieds sous terre.
Le livre suivant est un peu symbolique: c’est le cadeau que mes gentil·les éditeur·ices m’ont offert pour la parution de mon bouquin. “parce qu’on va pas t’offrir du vin tout de même”. MAIS SI, POURQUOI? Petit aparté: je sais qu’il est de coutume de ne pas offrir de fleurs à un·e fleuriste, du vin à un·e caviste mais on peut laisser tomber cette tradition chelou. J’adore être surprise et découvrir des trucs que je ne connais pas, so feel free and bring me strange wine.
Retour au bouquin: paru en anglais sous le titre The Yellow wall paper, il a connu différentes traductions pas toujours heureuses : il faut dire que l’exercice est âpre. Il vient de reparaître, traduit par une toute petite maison d’édition qui a fait un travail formidable, y compris sur l’illustration/ mise en page. Mais de quoi s’agit-il? Une femme est séquestrée dans une maison “de campagne” par son mari médecin afin de la “soigner” de ce qui semble être une dépression, on ne sait pas très bien. En conséquence, il l’empêche d’écrire et lui intime de se reposer. Coincée dans sa chambre à l’horrible papier peint jaune, elle commence à distinguer des formes mouvantes dans ses motifs. Ce livre est le journal qu’elle écrit en se cachant et qui relate son trouble, envahissant. Au fur et à mesure, l’écriture se hache, les phrases se coupent ou prennent des tours étonnants: la sensation de malaise est palpable. C’est très prenant, et surtout on a du mal d’ailleurs à croire qu’il est écrit au 19e siècle, tant le thème du patriarcat, des femmes “folles” et du sexisme médical est actuel. Il se dit que l’autrice a tiré ce roman en partie de son expérience personnelle, et a voulu démontrer à son médecin d’alors que les soins qu’il lui prodiguait étaient inappropriés. Il parait même que ça a marché. Ce que féministe veut…
A lire absolument.
Le papier-peint jaune, Charlotte Perkins Gilman, Tendance Négative.
Apprendre à dire non
Toute personne qui me connaît un peu sait que c’est mon talon d’Achille: je ne sais pas dire non. Qu’un projet m’enthousiasme, et que je fonce tête baissée ou plus embêtant que je n’aie pas envie de répondre oui, mais que par lâcheté, peur, politesse je ne sorte pas la carte du non. J’étais en entretien avec une journaliste pour un article sur mon livre, elle me demandait des photos pour l’illustrer. Je lui ai donc envoyé trois photos. Elle en a souhaité d’autres: celles-ci étaient déjà trop vues selon elle. Et si je comprends l’envie de renouveler l’icono, pour se démarquer et ne pas passer à côté de lecteur·ices qui pourraient avoir l’impression d’avoir déjà lu l’article, ça m’a embêtée. J’ai des photos, de bonne qualité, prises par des pros, qui me conviennent, avec lesquelles je suis à l’aise. Je sais que ces photos risquent de se retrouver sur le net, (pendant combien de temps, toujours?) et autant qu’elles soient agréables pour moi. J’aurais du dire: “non, je suis désolée, je n’en ai pas d’autres de qualité, récentes et qui me conviennent”. En lieu et place de quoi, je me suis retrouvée à improviser une séance, sachant que je suis hyper crevée, que je vis pas les meilleures journées en ce moment: il m’a fallu je ne sais combien de prises pour arriver à dégoter deux photos potables.
Des miroirs démultipliés
Et ça m’a épuisée. Est-ce que ça valait le coup? Est-ce que les “likes” récoltés pour cette photo (que je n’ai pas pu m’empêcher de poster, vanitas, vanitatum et omnia vanitas)1, et la satisfaction de la journaliste pesaient plus lourds dans la balance que la contrainte de devoir donner quelque chose, là tout de suite? Il ne s’agit plus seulement d’une image, mais de ce qu’elle devient ensuite, de ces miroirs démultipliés, chacun renvoyant une intention différente. Des miroirs donc, déformant tellement que ça m’a même valu d’être l’objet d’une blague grossophobe de Véronique Genest. #kamoulox 2 (il y aurait beaucoup à dire sur l’utilisation de ce type “d’humour” chez les femmes, qui clairement pose la personne émettrice en attente de validation de son propre physique, plutôt qu’en solidarité avec une autre femme, mais la flemme, la grosse).
Donc oui, on a beau être d’une certaine façon habituée à être exposée, on peut même parfois aimer ça, donner notre image reste quelque chose de peu naturel. D’autant plus quand elle nous parait moins maitrisée. Et encore davantage si on a un physique sortant de la norme et qu’on tient un discours politique: je sais qu’on m’attaquera d’autant plus violemment si je parais négligée, si j’ai des cernes trop marquées, ou si je ne suis pas lookée. Une meuf mince en jean-tshirt no make up sera “casual”, je serai “négligée”. J’aimerais pouvoir dire que peu importe, mais je n’ai pas assez d’énergie pour m’en foutre complètement. Et ce n’est même pas une question de séduction, juste et je le déplore, la conscience que s’exposer en tant que personne grosse, même en ne revendiquant rien attire les bas de plafonds et les commentaires désagréables. La solution serait de ne plus apparaitre, style Daft Punk: c’est peu ou prou la même chose que de se couper des réseaux sociaux quand on subit du harcèlement, pas une solution. Mon discours est bien sûr le même, que je sois en jogging troué ou ultra-lookée. Mais l’image précède le discours: même à la radio désormais on est filmé·es, scruté·es. Bien avant d’avoir dit le moindre truc intelligent ou percutant3. C’est pire : la vidéo inclut la gestuelle, les tics, les mimiques, le dos rond ou les épaules voutées… Je mentirai si je disais que je n’aime pas me saper, me maquiller, jouer avec les couleurs. Juste, je sais qu’une partie de moi “s’oblige encore” à performer la meuf bien habillée même quand je n’en ai pas envie pour être si pas intégrée, du moins pas rejetée. Qu’on le veuille ou non, on est tou·tes plus ou moins esclaves de ça: si l’habit ne fait pas le moine, c’est drôlement bien imité.
Ce sera tout pour cette semaine, prenez-soin de vous et de celles et ceux que vous aimez, même s’iels vivent à Limoges (surtout).
la vanité de toutes les vanités, tout est vanité. Profitez-en je ne citerai pas la Bible tous les jours: suis-je narcissique? Evidemment, même si cela dépend des jours et du temps.
j’ai encore en tête les commentaires assez débiles sur cette “spécialiste du sommeil” qui se trouvait être très largement cernée. Bah, oui. On peut avoir un bon sommeil et avoir des cernes, scoop. Mais le nombre d’attaques sur son physique sans entendre son discours était proprement hallucinant.