Dans les films, la façon dont se passe le matin de Noël est très codée et comporte quelques impératifs: il faut qu'il neige, déjà. Ensuite, des enfants parfaitement peignés et aux pyjamas assortis attendent sagement sous un sapin magnifiquement décoré les adultes de la maisonnée pour pouvoir ouvrir les cadeaux. Iels boivent toujours aussi sagement du lait avec des biscuits et les adultes trinquent au champagne ou au chardonnay en couvant des yeux une énorme dinde, dorée et croustillante. A l'heure où j'écris, je peux déjà affirmer avec certitude que ce ne sera pas le cas chez moi. On ouvre les cadeaux le soir du réveillon, nos enfants ont toujours la mèche rebelle, leurs pyjamas toujours désassortis, quand ils ne sont pas troués. Le sapin est artificiel et comprend des décos moches que les enfants ont réalisées à l'école auxquelles j'applique la technique de sioux des parents aguerris: visible mais dissimulé. Parce qu'au fond je n'ai pas encore lâché prise avec l'illusion de perfection des noëls de fiction.1 Pourtant nous avons passés plus de vingt Noël, à deux, puis trois puis quatre 2: nous avons créé nos propres traditions comme celle du barbecue. Ça sonne étrange comme ça, mais c'est assez génial. Plutôt que de rester des heures à table, à manger des plats ayant nécessité des heures de préparations, on se rassemble autour du feu. Légumes, poissons, crustacés, viandes, fromages ou fruits, avec un poil d'imagination tout peut s'y cuire, préparer, fumer, mijoter. Et invariablement, les dernières braises sont pour les chamallows.
A quatre, dans le froid, parfois la pluie, les mains rougies tiennent les piques et le bonbon fond et prend une jolie couleur dorée, il faut prendre garde de ne pas se brûler la langue. C'est délicieux, à la fois moelleux et légèrement résistant. Dans ces moments là, alors que la nuit est entamée, je regarde mes enfants, leurs grands yeux brillants, leurs joues rosies de froid et de flamme: ils ne sont pas sages au sens où on l'entend habituellement. Ils ont de la répartie, de l'audace, parfois de l'insolence. Mais ils savent aimer, fort. S'affirmer et ne pas se laisser marcher sur les pieds.
Les premières années d’adulte, j’ai beaucoup aimé recevoir et faire de grands dîners de Noël, avec un long menu élaboré: je passais des heures au fourneau, une année même une main dans le plâtre, quitte à devoir cuisiner très tard après le boulot et mes journées bien chargées. De l'oie farcie, des salades de gésiers ou de coeurs de canards, des terrines, des pâtés, des tourtes, je me lançais souvent dans des recettes compliquées ou que je ne maîtrisais pas bien, pour le challenge. Mais avec les années, je me suis rendue compte que c'était beaucoup de pression pour pas grand chose et surtout que ça ne me rendait pas heureuse, tout juste satisfaite du bon déroulement de la soirée et de l'épuisement régulier des plats. Je ne sais si c'est l'âge, le fait que ce soit une période très chargée en boulot pour moi, l'envie d'avoir ma propre tradition mais je préfère réserver ces soirées à mon petit clan, et profiter des grandes tablées à d'autres occasions. Ne pas s'obliger à voir des gens, même si on les aime, parce qu'on sait que ce sera source de tensions inutiles, de petites disputes ou pire de rancœurs qui pèseront plus lourd qu'une bûche au beurre, c'est aussi ça l'esprit de Noël. Le mien en tous cas.
Je ne sais pas encore de quoi la soirée de réveillon sera faite. Pour tout dire, le menu n'est même pas complétement arrêté. La commande au poissonnier est faite, c’est un ami qui ira la chercher pour moi, coincée que je suis avec le magasin. Les cadeaux sont déjà au pied du sapin. Le charbon de bois est commandé: reste à espérer que la pluie annoncée ne soit pas trop forte, sinon adieu la flambée et bonjour la solution de repli à l’intérieur. Mais je sais que plus que ce qu'il y a sur la table ou dans les paquets, c'est le fait d'être ensemble, tous les quatre, de prendre le temps de faire une jolie table, d'allumer des bougies, d'écouter des chansons nulles de Noël, de danser ou de tricher à des jeux avant de se retrouver autour du feu rougeoyant, quatre atomes d'un cœur nucléaire et rempli d'amour.
Mes matins de Noël à moi, c'est trainer au lit longtemps. Déjeuner de restes, sur une table à moitié défaite, de soupe de châtaigne, et de ce qu'on a envie de manger. Zéro règles. On peut rester en pyjama toute la journée ou se saper à paillettes. Le soir, on prendra le temps de refaire un joli dîner, plus organisé. De dresser à nouveau une table avec bougies et tout le tintouin. On dégustera probablement des huîtres, du pigeonneau, un peu de fromage… Cette petite parenthèse rejoindra toutes les autres, celles des années précédentes, au creux de mon ventre avec mes souvenirs les plus précieux.
2022 s'achève tout doucement. Elle n'aura pas été beaucoup plus simple que les autres: certain.es y ont trouvé des accomplissements, pour d'autres il y aura eu beaucoup de peine, de maladies, de deuil, d'épreuves en tous genre. Mon année a été rockn’roll. J’aime en retenir le très chouette évènement à Paris en tant qu’exposante, de nouvelles bières brassées, de jolis moments d’amitié, des restos trop bien, les fulgurances de Gérard et la façon qu’elle a de me faire mourir de rire et fondre de tendresse à chaque fois, les discussions avec l’enfant grand sur ses projets d’avenir, et même si c’était éprouvant, la fierté d’avoir dénoncé devant la justice le sexisme, jusqu’au bout quelle qu’en soit l’issue.
Je vous souhaite un merveilleux Noël si c'est important pour vous. Je suis de tout cœur avec celleux pour qui c'est une période difficile, pour des tas de raisons. Les sans famille, ou bien qui sont en froid avec elle, celleux pour qui il n’y a rien à fêter et pour qui la pression sociale est intense. Puissiez vous aussi trouver la force de dire non à ce qui ne vous fait pas du bien. Préservez vous, accordez vous toute la place et la priorité. Pour le reste, et c’est valable pour tout le monde, n'hésitez jamais à dire aux gens que vous aimez ce que vous ressentez, c’est si bateau mais tellement important. Plus que les cadeaux, les bûches roulées parfaites, ou les tenues clinquantes de réveillon, c’est les câlins et les baisers qu’on retient, les bras qui serrent fort et le rouge aux joues.
Je vous souhaite donc tout particulièrement une année 2023 beaucoup plus apaisée et sereine, beaucoup de douceur et l'énergie de faire battre votre cœur nucléaire à vous.
Prenons tout à fait au hasard le film Love Actually: si on décortique un peu, il y a énormément de scènes gênantes voire problématiques. Le romantisme propre à Noël comporte quand même quelques biais stéréotypés et genrés parfaitement intégrés. Et qu'il s'agirait de ne pas reproduire. Mais plus difficile à faire qu'à dire. Ou écrire.
Cinq si on compte le chien: cet animal a pris une place telle qu’il a aussi droit à son cadeau au pied du sapin.
Avec le cœur.
"Quatre atomes d'un cœur nucléaire"
J'adore.
Joyeux Noël, Sandrine.
Cœur avec les mains.