Je n’écris plus sur le vin. Plus une ligne. Enfin si, j’écris sur le sujet quand il s’agit d’un travail mais pour le plaisir, plus un mot. Je ne partage que très peu mes derniers coups de cœur, je ne publie quasi plus rien comme photos sur les réseaux. Je n’ai pas cessé de boire du vin, ou même de l’aimer mais depuis deux ans, je suis allée de déceptions en déceptions: au plus fort de la tempête, quand je me suis fait insulter de toutes les manières possibles, quand j’ai reçu des menaces, quand j’ai du cesser de collaborer avec certaines personnes, les liens se sont défaits. Comme une émulsion qui retombe: croyez moi, rien de plus triste. Et puis disons le: j’ai toujours au fond une petite appréhension d’attirer de nouveaux commentaires, quand on sait ce que ça peut donner. Cela fait partie des choses qu’on m’a enlevées et que j’ai racontées lors de l’audience du procès en correctionnelle pour injures sexistes. Des répercussions, il y en a eu d’autres, personnelles ou professionnelles: je compte d’autant plus précieusement les soutiens véritables et il y en a eu, des mots, des gestes, des gris gris, une présence, une main serrée, une bonne fée du métro… Mon espoir que les choses changent en profondeur est ténu, mais je m’y accroche. C’est pour ça qu’il était important d’aller au bout de cette procédure, quel qu’en soit le prix.
J’en parle peu voire pas du tout ici, parce que d’autres s’en chargeront à ma place, commenteront les faits, les mots, monteront l’affaire en mayonnaise.
Ou pas. Voilà bien une des sauces qui se traine la plus injuste des réputations: difficile à réussir, lourde, trop grasse. A fortiori quand on est une femme, vous savez bien? Le rapport entre la mayonnaise et le vin? Les femmes, oui, longtemps accusées de faire tourner et l’une et l’autre. Une mayo, ce n’est pas bien compliqué quand on a le tour de main et les ingrédients nécessaires. En Belgique, elle est indissociable des moules-frites,1 et des fritkots bien que nombre de sauces froides lui fassent concurence.2 Qu’on soit adepte de sa version industrielle ou semi industrielle, ou qu’on la réalise maison, la mayo c’est un câlin: elle adoucit l’iode des poissons ou des fruits de mer 3, donne du moelleux au croquant des frites, pimpe les pêches au thon, lie les crevettes grises à la tomate. Longtemps j’ai fait la mienne au fouet, puis j’ai expérimenté la fourchette et même le mixer: pour les feignasses sachez que cette dernière méthode est validée, à condition de mettre le mixer sur une vitesse minimum, et d’ajouter l’huile progressivement. Le secret, c’est l’émulsion!
Ce qui nous amène à la question fondamentale: comment un jour un bonhomme - ou une bonne femme - a eu l’idée lumineuse de fouetter vigoureusement un élément acide avec un corps gras et un émulsifiant (l’œuf) pour un obtenir ce délice? Contrairement à ce qu’on pourrait penser, tant elle fait partie de nos vies et se compose d’éléments très courants, la mayonnaise telle que nous la connaissons aujourd’hui n’apparait vraiment qu’au 19eme siècle. Et c’est loin d’être une apparition spontanée puisque il aura fallu pas moins de deux siècles, et un bataillon de cuisinier·es pour lui donner sa forme. Si on creuse vraiment, vraiment encore plus loin, on tombe sur les pharmacien·nes4 au moyen-âge qui auraient été les “trouveurs”5. En effet, ils préparaient déjà à cette époque des pommades à base de jaune d’œuf dans lequel ils faisaient doucement goutter de l’huile, qu’ils émulsionnaient ensuite. Il aura fallu un peu de temps pour qu’on pense à utiliser ces propriétés émulsifiantes pour faire des trucs bons à manger. Notez, à confier une tâche aux hommes, pas étonnant qu’il leur aie fallu quelques siècles pour enfin l’accomplir.
Mais remontons au 17e et 18e: c’est à cette époque que s’est développée la nouvelle cuisine française, qui encore de nos jours trouve écho dans nos assiettes. Le “velouté” une sauce chaude à base de bouillon liée avec un mélange de beurre et de farine, apparait. 6 Et ça, ça change tout: les palais tous foufous découvrent cette sensation d’onctuosité, de caresse sur le palais, et en réclament à toutes les sauces. Je vous la fais courte, mais il aura fallu près de deux siècles de tâtonnements et d’ajouts plus ou moins bizarres (de la gelée notamment) pour que ces sauces passent de chaudes à froides (coucou la rémoulade7) et obtiennent le fameux jaune d’œuf comme liant. Il faut dire que la liaison à la gelée c’était un peu fade et pas trop pratique. Et là, tenez vous bien: le vrai inventeur de la mayonnaise ne serait peut-être pas celui qu’on croit. On se réfère souvent à Antonin Carême, qui en 1815 propose une recette de mayonnaise émulsionnée au jaune d’œuf, mais l’idée de l’émulsion au jaune d’œuf est celle d’André Viard en 1806. Il donne une recette de rémoulade, mais sans le velouté (un bouillon lié au roux). À la place, il ajoute un jaune d’œuf qu’il mélange longuement avec de l’huile, de la moutarde et les autres ingrédients de cette vinaigrette liée. En gros, il avait déjà la base de la mayonnaise mais pas le nom, le seum. 8
Je trouve fascinant de voir comment une recette qui nous apparait aussi basique et simple qu’une mayonnaise 9 a mis autant de temps à être mise au point: comme quoi, parfois les choses les plus évidentes ne sont pas forcément celles qui sont les plus rapides à formuler. Il faut des années pour faire rentrer dans le goût commun de nouveaux aliments, de nouvelles recettes. Il en est de même pour les évolutions de la société: il nous faudra encore beaucoup de patience, de sororité10 et de ténacité pour qu’enfin la mayonnaise de l’égalité 11prenne. Y aura encore de fausses bonnes idées, l’impression qu’on avance alors qu’on recule, du surf sur une tendance et franchement ce sera parfois décourageant à voir. Mais le meilleur trouve toujours son chemin: au pire, en attendant on se consolera en mangeant des frites. Mayo, anyone? 12
“Quelques dizaines d’années plus tard (après 1844 NDLR), on remarque que la frite belge s’émancipe de la tutelle parisienne et que les Belges forgent leur propre culture de la frite41 dont les caractéristiques principales sont l’adoption des moules-frites, la généralisation de la double cuisson et l’accompagnement de mayonnaise.” Source.
Rappelez moi un jour d’écrire une ode aux fritkots et aux sauces belges, incomparables.
Les bulots, les bulots !
Qui n’étaient pas vraiment encore des pharmacien·nes, plutôt des apothicaires: faites moi penser d’ailleurs un jour à vous conter l’histoire des boissons fortifiantes ou pseudomédicamenteuses à base de genièvre ou de quina, par exemple qui a beaucoup à voir avec elleux.
Hommage au vieil internet
Oui, si ça vous évoque la béchamel, c’est normal. Pour tout comprendre sur cette sauce en 10 minutes, je vous recommande l’excellent "épisode de Vulgaire de Marine Baousson. (fan de cette meuf, moins de la situation régulière dans laquelle elle me met à savoir rigoler bruyamment comme un poney sous amphéts alors que je promène le chien)(elle est hyper drôle).
“Au cours du XVIIIe siècle, le velouté s’intègre dans la recette de la sauce rémoulade, qui est au départ une vinaigrette. C’est ainsi que cette vinaigrette liquide se transforme en une sauce bien liée, onctueuse et de couleur blonde. On la sert régulièrement avec des rôtis ou des grillades.” Source: Pierre Leclercq
Un peu comme si vous aviez bossé dur sur un sujet, mais pas pensé à vous faire créditer car la bienveillance et que vous vous fassiez doubler par quelqu’un d’autre.
Bien qu’on puisse en modifier les ingrédients tant qu’on respecte la base acide (moutarde, citron, vinaigre) + corps gras (huile neutre, d’olive, etc) + œuf. Les proportions: 1 jaune d'oeuf, 2 dl d'huile, 1 cuiller à soupe de vinaigre ou jus de citron ou 2 cc de moutarde. On peut varier les agrumes si on aime l’aventure.
Je suis presque autant lasse de ce mot que de son pendant général, la bienveillance. La sororité devrait être une solidarité politique, engagée: elle ne devrait pas s’exercer envers des femmes qui sont des ennemies politiques et propagent la haine, dans un gloubiboulga dévoyé du féminin intouchable. Pas de sororité possible avec les transphobes, par exemple. Elle devrait être critique donc, mais balayer devant sa porte: combien de femmes si sorores en public exploitent, silencient ou briment d’autres femmes en réalité?
En passant par le traitement médiatique des affaires de cyberharcèlement: non, tagguer ensemble victime présumée et auteur présumé dans une publication n’est pas une bonne pratique. De même qu’il est maladroit au mieux d’utiliser des termes qui ne correspondent pas ou plus à une réalité (blogueuse dans mon cas) alors que j’ai un métier, voire plusieurs qui me définissent parfaitement.
En maillot, si vous voulez.
Fort soutien. Virtuel, discret, mais sincère.
J'adore cette nouvelle façon de te lire, comme un retour au temps long du blog, avant Twitter. Ça fait du bien.
Sororalement (j'ai cherché hein, sororitellement n'existe pas !)
Bénédicte