Quand j’étais petite, chez ma mamy, ça débordait de boites Quality Street. Et alors que profitant du fait qu’elle aie le dos tourné, absorbée par Roland Garros, j’arrivais à en ouvrir une en toute discrétion, je tombais le plus souvent sur: un set à couture, des chaussettes à repriser, un lot de boutons, des épingles à nourrice, bref ces boites contenaient tout sauf les fameux bonbons empapillotés. Plus tard, j’ai compris que les bonbons se trouvaient en fait dans la soupière, celle en porcelaine blanche qui trônait sur le buffet et à laquelle je n’avais pas le droit de toucher parce que fragile. En fait de fragilité, c’était surtout le trésor de guerre dissimulé de mamy: chiques ananas, moka, bonbons belga, jus noir, dissimulées à ma supposée convoitise. Mes grands-parents avaient chacun leurs marottes, et leurs cachettes à chiques: mon papy planquait ses carrés noirs et rouges dans le tiroir en dessous des disques d’accordéon et de chansons paillardes, mamy dans la soupière qu’on eut pu requalifier de bonbonnière, j’imagine.
Avec Huguette1 j’aurais pu acquérir le goût de la couture ou du tricot: elle n’a jamais voulu m’apprendre. La machine restait là, vieille besogneuse endormie sous sa housse jaunie. Elle me répétait que je ferai des études et aurai les moyens, moi, de payer quelqu’un pour faire les travaux de rabibochage et rafistolage voire les sous pour que l’achat de nouvelles chaussettes ne doive pas être dûment réfléchi.2 Je n’ai donc pas piqué mon doigt en enfilant le fil par le chas, pesté contre la pédale se bloquant au pire moment. Adulte, j'ai appris, au moins les rudiments, coudre un bouton ou refaire un ourlet, parce que je ne devais pas le faire. Bizarrement, malgré leur interdiction relative, je n’ai pas développé pour les bonbons un goût immodéré.
J’ai très peu d’appétence pour le sucré et l’âge ne fait rien à l’affaire, bien au contraire. Plus je vieillis, pire c’est : retrouvez moi dans une paire d’années à sucer des citrons pour le goûter. Je n’aime ni la mollesse, ni les baisers de la crème, les desserts me laissent froide. Pire: je ne suis pas férue de chocolat. Je sais que pour beaucoup, une vitrine de pâtisserie est une sorte de rêve en soi: pour moi, cela relève du cauchemar. Les crèmes anglaises jaunes et figées, les chantilly douillées en rond ou en pointes, les montages complexes où la gélatine joue sa part, rien de tout ça ne m’évoque le moindre plaisir. J’ai la nausée 3 rien qu’en imaginant ingérer ces bombes caloriques. En cas de fringale, un chips, un bout de comté, voire un fruit. Mais craquer pour un vacherin, ou un saint-honoré, pas vraiment. Si je goûte à certaines pâtisseries, il faut qu’elles soient simples, presque brutes: crêpes, gaufres, tarte au riz… Certaines glaces, très ciblées: la vraie pistache, celle qui est un peu brunasse et ne contient que de la pistache; la glace praliné, croquante et gourmande à souhait; et si je me sens nostalgique ou d’humeur régressive la rhum raisins4 ou la stracciatella. Je préfère manger la glace entre deux galettes: sentir sur les côtés de la langue le crénelé du biscuit un peu pâteux, tandis que le froid conquiert la chair. Simple. Ni crème ni couronne. Je n’ai aucun problème avec la tartiflette, un burger dégoulinant de fromage, mais à la vue d’un diplomate mon estomac se resserre.
Et je sais que je risque d’être incomprise sur ce coup là, voire excommuniée: le dessert, si possible bien chargé en sucre est une telle institution qu’on n’imagine pas que des gens n’y prennent aucun plaisir. C’est pourtant le cas: j’ai cru mon salut arriver avec la cuisine végétalisante, qui donne des assiettes plus saines, moins riches en sucre. Et est née (ou plutôt nous est revenue) l’habitude de placer des légumes dans des desserts. 5
Je ne suis pas toujours convaincue, disons même que j’ai beaucoup de réticences. Peut-être parce que pour nombre de chef·fes il s’agit plus de se plier à une mode, de raccrocher le train d’une tendance (comme ces foutues feuilles de shiso partout là) que d’un désir sincère de renouveler un genre. 6J’adore la betterave, son côté légèrement terreux, son acidité un peu aigrelette et sa douceur naturelle. Faites moi un carpaccio de grosses betteraves jaunes là, ajoutez quelques petites rouges en pickles, pour le fun un peu de feta émiettée, je suis heureuse. Mais en dessert, sur base de ce légume, pour le moment je n’ai rien goûté qui me transporte. Plus généralement, peu de desserts végétaux m’ont vraiment convaincue. Soit parce qu’ils étaient noyés de sucre, et perdaient leur identité singulière, soit parce qu’ils en manquaient, et faisaient donc difficilement figure de vrai dessert. J’ai bien conscience du paradoxe: je n’aime pas le sucre mais j’en réclame?
Le pouvoir de la suggestion, peut-être, plus fort que notre curiosité? Le goût est une construction: si l’on identifie la betterave à légume/ doit être utilisé en entrée / plat, c’est parce que c’est dans nos habitudes. Comme il ne viendrait à l’idée de personne d’associer par exemple un fruit (les pêches) et un poisson (le thon), non? Ce serait complètement choquant.
Cette transition habile pour justement évoquer un sujet qui me taraude depuis un moment: en Belgique, le sucre est presque partout. On moque souvent la gastronomie belge, et c’est vrai qu’à proprement parler, nous ne possédons pas à l’instar de la cuisine française d’un almanach de recettes codifiées, complexes et techniques. Mais on retrouve quand même certains marqueurs: la viande de porc, les patates, le sucré salé. Et chacune de ces tendances s’explique: mettre de la viande dans un plat, c’est améliorer l’ordinaire. Le cochon offre l’avantage d’être peu cher, et rentable: le bout de lard qui pimpe la soupe, la potée, la salade, c’est resté une vieille habitude. La patate, c’est ce qui nourrit les flamands depuis le 17ème siècle. Et le sucré salé est la survivance d’une vieille tradition, gommée ailleurs, mais qui est restée vivace ici.
Les influences byzantines, puis italiennes ont essaimé un peu partout où elles passaient un goût pour les sauces riches, l’aigre-doux, les épices même si ces dernières restant relativement chères, réservées à certaines classes sociales. Partout où il y a commerce, et échanges, les cuisines elles aussi s’échangent.7
Au XVIIe siècle (principalement sous le règne de Louis XIV), la gastronomie «parisienne» effectue sa révolution culinaire et sépare le sucré du salé, préconise le moins d’épices possible. 8La cuisine française “classique” se forme, du moins elle apparait plus conforme à ce qu’on en connait de nos jours.
En Belgique, le fait que le territoire belge aie été une terre d’invasions diverses avant de se constituer comme pays unique (en clair: on s’est fait rouler dessus par à peu près tout le monde) nous a nourri d’un tas d’influences9, et empêché aussi d’avoir une identité forte, et même une grande cuisine. On a un peu suivi ce qui se passait en France10, un peu abandonné certaines habitudes, mais le sucre est resté.
Dans la salade liégeoise, sploutchée à grands coups de vinaigre puis de sucre; dans le chou rouge au lard, pommes et raisins; les boulets liégeois; les carbonnades; le lapin à la bière; le poulet compote; les pêches au thon…
En cuisine, j’aime la franchise: les goûts marqués, les parti pris, c’est mon truc. Probablement pour cette raison d’ailleurs que je constitue lentement mais sûrement une petite collection de sauces pimentées, qui elles aussi d’ailleurs contiennent le plus souvent… du sucre.
A l’heure où j’écris ces lignes, je termine un wrap11 constitué d’une généreuse couche de fromage de chèvre, de concombre, d’aubergines fumées, de coriandre fraiche et d’un chutney mangue et piments. Encore du sucre! Mais pas tout seul: il y a de l’acidité (le chèvre), du frais (le concombre et la coriandre), une saveur boisée (les aubergines) et du piquant. C’est peut-être bien la clé pour moi, trouver un équilibre: ce n’est pas tant que je n’aime pas le sucre, je ne l’aime que comme assaisonnement, qu’il soit ajouté ou naturel.
Les tartines de maquée12saupoudrées de sucre blanc. Les fruits dans les salades (pastèque et tomates, bien sûr, mais aussi melon et concombre, et essayez une fois le combo avocat-kiwi, une tuerie). La confiture de cerise noire et la tomme de brebis. Le café sucré avec une tartine de munster bien coulant. 13
Sel, gras, sucre. Surprise, amour, tendresse. Tout est affaire de dosage: trop d’un au détriment des autre et c’est l’ennui. 14 Et la vie est trop courte pour le fade et le gris, non? 15
On se quitte avec ce morceau de Visage, parce que.
Huguette qui ne s’appelait pas Huguette mais Olga d’ailleurs, une histoire à elle toute seule.
J’y ai longuement réfléchi et je pense que ce n’est pas tant un désir que je m’émancipe en tant que (future) femme mais plutôt que je sorte de la pauvreté où elle a vécu une bonne partie de sa vie: 16 frères et sœurs, dans le Hainaut, c’est rarement Byzance.
Et pas les mains sales, pour paraphraser l’autre, là.
Un goût de “vieux” parait il en tous cas connoté années 80, un peu comme la plombière (aux fruits confits) ou la menthe chocolat. Mais si la musique et les fringues de cette époque reviennent, pourquoi pas sa bouffe?
On n’a rien inventé, parce qu’on n’invente jamais rien en cuisine: le carrot cake, les dessert à base de pâte de haricots rouges en Asie, et plus proches de nous, les gâteaux / tartes au cardon/ aux bettes.
Evidemment, pile au moment où j’écris ça passe dans mon fil un dessert à base de mirabelle et fleurs de courgettes: je suis tentée de goûter.
De l’absurdité donc des “vraies recettes” puisque les cuisines ne font que se métisser, entre autres. Mais ça, ça méritera bien une NL dédiée (et ses notes de bas de page interminables).
Les traités de grande cuisine, du XIVe siècle au milieu du XVIe siècle, comportent encore jusqu’à 31 % de recettes sucrées - potages, entrées ou rôts tout autant qu’entremets et desserts. Ensuite, la proportion s’effondre : 12 % au XVIIe siècle, 6 % au XVIIIe siècle, confirmant que l’aigre-doux cesse d’être une saveur dominante dans la cuisine classique, et que les nouvelles normes proclament l’incompatibilité entre les saveurs sucrées et salées.
Même nos recettes les plus “traditionnelles et identitaires” ne le sont pas: le hochepot (sorte de pot-au-feu) est profondément flamand ou gantois. Pourtant, il s’agit d’une vieille recette espagnole, l’olla podrida, déjà mentionnée au Moyen Âge.
Un jour, on parlera de cette relation très bizarre entre nous et la France: à la fois influencé·es et farouchement indépendant·es, la prenant pour modèle autant que s’en détachant. Et de l’obligation de “réussir” en France pour être reconnu·e dans son métier ici.
Le plus célèbre des chanteurs de wrap: Weminem.
La maquée ou maquèye est un fromage blanc belge, généralement non sucré, auquel on ajoute généralement du sucre fin, de la cassonnade, ou du sirop de Liège (une sorte de gelée de pommes et poire assez épaisse).
En revanche, cramique (un pain brioché aux raisins, typiquement belge) et sardines, ça ne fonctionne pas: c’est même dégueulasse.
Et comme dirait l’autre: retiens l’ennui. Après, il est mort: c’était bien la peine, tiens (il l’avait annoncé ceci dit: c’est là que je finirai ma vie, comme d’autres gars l’ont finie) (aucune originalité, aucun sens de la surprise les mecs cis).
A mes diverses et saines activités, je viens de m’en rajouter une autre: formatrice en inclusivité du langage vin. On verra si ça fait bouger les lignes. Et bien évidemment, il s’agit d’une activité rémunérée: tutut les rageux, on propage l’idéologie woke progressiste, on se fait des tunes et vous pouvez rien faire (pour les natives speakers, we make tunas*, you can do nothing)
*and lot of peaches, of course
ha mais oui: souvenirs de la boite en fer blanc planquée chez ma grand-mère qu'on appelait Bobonne! ( ma mère grand, pas la boite) Mêmes souvenirs, bonbons moka ananas..mais bonbons belgas je suis curieuse de savoir ce que c'est?
vive la betterave et Weminem!
Spéciale dédicace pour la note de bas de page 11...