Sang, urine, sperme, merde: des superaliments?
Pendant notre minitrip en Alsace, il se trouve que l’on a beaucoup écouté la radio (passion Hondelatte qui fait les accents, absolument tous les accents. Mal, c’est ça qui est génial: on dirait l’oncle un peu gênant au mariage qui veut absolument chanter “Mourir d’amour enchaîné” debout sur une chaise après 4 pastagas). Mais n’est pas tombée dans l’oreille d’une sourde, dans une émission dont j’ai oublié le nom, l’histoire des buveuses de sang de la Villette. J’avais déjà parlé de cannibalisme dans une des newsletter précédente (pour ceux et celles qui ont loupé ça, rappel ici). J’ai cité le vampirisme (boire son propre sang ou celui d’une autre personne comme paraphilie), mais ici, il s’agit d’autre chose. Si vous n’avez pas le cœur bien accroché, prenez une grande inspiration. Au 19e siècle, on se presse aux abattoirs pour aller se faire une bonne cure de sang frais, provenant des animaux juste abattus. Chacun·e prend sa bolée et hop, à grandes lampées: encore tiède, visqueux, avec cet arrière-goût de ferraille, quel délice !
Un truc de gonzesses
Plus sérieusement, toute une population anémiée ou en quête d’une meilleure santé, femmes et enfants principalement, se presse pour avaler du sang. Et le mieux c’est que c’est gratuit: hormis quelques piécettes à filer aux garçons qui touillent les bassines pleines d’hémoglobine pour empêcher le sang de coaguler, tout le monde peut librement boire ce “remède”. Mais qu’y-a-t-il à soigner, et pourquoi? Principalement chez les femmes l’anémie et la “phtisie”, une sorte de pathologie fourre-tout qui regroupe plusieurs maladies provoquant un épuisement dont la tuberculose ou la laryngite. Les régimes car l’époque est à la minceur, ainsi que le port du corset abiment la santé des femmes, et très étonnamment (non), les autres pathologies féminines de même que les douleurs spécifiques sont ignorées voire très mal prises en compte, quand on ne les soigne pas par le viol (l’hystérie pour ne pas la nommer était d’abord “soignée” par stimulation clitoridienne digitale du docteur, avant de s’y voir substitués des godemichets, faut comprendre, ça leur fatiguait le poignet les chouchous). A force d’être maltraitées ou ignorées, les femmes s’en remettent aux croyances populaires. Selon un mécanisme vicieux: d’une découverte scientifique, l’hémoglobine et sa richesse en fer, on valide une croyance (boire du sang rend fort), renforcée par la religion (le sang du christ) et il n’y a plus qu’à se procurer le sang salvateur pour aller mieux.
Se soigner par le sang, le sperme, ou l’urine
Evidemment, cette histoire de sang miraculeux est un poil plus compliquée: si on utilise bien le sang en médecine, depuis très longtemps, et si on continue à effectuer des recherches en ce sens (recevoir du plasma “jeune” pourrait aider à régénérer nos cellules, d’après ces travaux et on se souvient des transfusions sanguines pour “doper” les sportif.ves très en vogue il y a quelques années), c’est dans de strictes conditions de contrôle et d’hygiène: qui oserait maintenant aller lamper du sang d’animaux, avec tous les germes, virus, et pathologies diverses que ça peut drainer? Sans doute plus de personnes qu’on ne le pense…
Si l’on s’en tient aux fluides corporels que l’on peut ingérer et qui seraient “bons pour la santé”, la liste est longue:
l’urine: appelée amarolie, le fait de boire sa propre urine aurait des vertus de renforcement de l’immunité. Certain·es l’utilisent pour se laver et avoir une plus belle peau, d’autres la font bouillir avec du miel pour soigner leurs yeux, bref, le pipi est multi-usage.
les crottes de nez: les manger permettrait de doper son système immunitaire (encore lui) en agissant comme un vaccin (?!).
la bave de chien qui constituerait pour l’homme (ou la femme) un sérieux anti-allergique.
les matières fécales: Poop, I did it again. Là on entre dans un certain raffinement. Le caca peut se consommer sous forme de gélules de matière congelée et agirait comme un probiotique, pour aider l’intestin à mieux fonctionner. En Corée du sud, on produit un vin de merde1, le Ttongsul, un alcool de riz mélangé à de la matière fécale fermentée d'enfants très jeunes (leurs selles sont moins odorantes que celles des adultes, parait-il. Je doute fortement de cette dernière affirmation).
le placenta: consommé cru, ou cuit, parfois séché et encapsulé sous forme de gélules, il rentre aussi dans des décoctions, et même des préparations à base d’alcool. Il paraitrait que c’est bourré de vitamines. Mais d’où vient l’idée saugrenue de le manger? Les mammifères ingèrent fréquemment le placenta après la mise-bas. Nous sommes des mammifères, donc… Voilà, voilà. En France, il est normalement interdit de détenir son propre placenta mais certaines arrivent à contourner la loi.
le sperme, composé de flotte essentiellement, mais aussi source de vitamines C et B12, ainsi que de protéines à l'action antibactérienne, et de minéraux comme le potassium ou le magnésium. La spermidine, permettrait en outre de lutter contre la maladie d'Alzheimer et de stimuler la croissance des cheveux. Et last but not least, il contient des hormones comme la sérotonine et la mélatonine, ce qui fait conclure à certaines personnes qu’ingérer du sperme permettrait de lutter contre stress et anxiété. Hormis les façons classiques de le consommer (je ne vous fais pas un dessin, hum), il semble qu’il se prête aussi à différentes recettes. Et que si le goût n’en est pas folichon, on peut toujours le modifier en adaptant son régime alimentaire.
les sécrétions vaginales: pas de raisons que l’on n’en parle pas, hé! La cyprine, ce liquide transparent composé d’eau, de bactéries, d’urée, d’acides acétiques et lactiques, de complexes d’alcools2 et de glycols, est très utile à notre vagin, mais peut-il lui aussi se consommer? Je ne vous étonnerai guère en écrivant que si on trouve une littérature abondante sur la conso de sperme et ses bienfaits, sur celle de la cyprine, niente ou quasi. Les expert·es recommandent toutefois si l’on désire consommer de la mouille, d’en incorporer plutôt dans des recettes avec de vraies cuissons plutôt que d’en faire du yaourt (ce n’est pas parce que c’est techniquement possible que c’est une bonne idée).
Pour récupérer ces deux dernières sécrétions, vous pourriez utiliser une éponge à sperme. (cette époque me tuera, de rire ou de consternation, je ne sais plus). Pour voir à quoi ça ressemble, c’est là.
Le sperme autant que la cyprine sont des produits “risqués” comme l’explique Diane très bien ici. 3 Et de façon générale, toutes les excrétions/ sécrétions du corps humain, fussent-elles naturelles, ne sont pas sans danger. On peut noter quand même la différence de traitement entre sperme et cyprine: pourquoi s’est-on attachés à trouver mille vertus à la semence et rien aux secrétions vaginales, hum? A mon avis, c’est pour nous faire avaler un gros truc… genre un biais légèrement sexiste? Allons…
La nature est bonne, mangeons donc naturel
Aujourd’hui, on se défie de plus en plus de la science4, du “chimique” pour se tourner vers du “naturel”. A force de parler (à raison) d’agriculture bio, d’aliments sains on en vient à confondre un peu tout, dans un gloubiboulga un peu fantaisiste. On peut rappeler que tout est chimie, autour de nous. Mais surtout que ce n’est pas parce que c’est naturel que c’est bon pour nous. Certains des poisons les plus dangereux sont tout à fait naturels. L’hygiénisme (ou hygiène naturelle) est un courant de pensée né aux Etats-Unis dans la première moitié du XIXe siècle à l’initiative de quelques médecins dissidents, prônant le recours à des moyens naturels pour le maintien ou la restauration de la santé (le jeûne, le régime végétarien, l’eau pure, le soleil, l’air pur, l’exercice, le repos, l’équilibre comportemental). Cette “mode” de laisser le corps se soigner naturellement en évitant toute médecine n’est donc pas récente, mais elle fait de plus en plus de dégâts.
Il y a un gap parfois énorme entre ce que disent la science et le bon sens et ce que préconisent certains gourous de la santé. Que dire des régimes alcalins ou des cures détox en tous genres: si vous avez un foie et des reins, c’est à cela qu’ils servent, à éliminer les toxines. Rien ne sert donc - quand on est en bonne santé et hors pathologie précise - d’éliminer des “toxines”, le job est normalement déjà fait. La Miviludes (un organisme chargé d’observer/surveiller les mouvances sectaires) reçoit d’ailleurs de plus en plus de signalements sur les pratiques alimentaires extrêmes. Le crudivorisme extrême fait clairement partie des pratiques dangereuses: il considère que “cuire, c’est mourir”. Et hop, plus aucune cuisson, encore moins de pasteurisation, et avec ça on gagne une salmonellose, bon délire. Pareil pour le régime paléo, super tendance mais qui prive d’une bonne part des apports nutritionnels puisque ce régime est hyper restrictif, avec toutes les carences qui en découlent. Evoquera-t-on les jeûnes hydriques (littéralement: ne rien manger durant plusieurs jours/ semaines et ne consommer que de l’eau)? Croyez-moi, vous n’avez pas envie de lire ce qui arrive à nos organes et tissus après un petit moment.
“Oui, mais s’il y a autant de méthodes ou de “traitements”, c’est que des trucs fonctionnent” m’objectera-t-on. Pour la santé en tant que telle, pas sûr. Pour la santé financière de celles et ceux qui proposent ces cures “miracles”, c’est certain.5
Le vagin n’est pas un Thermomix
Parmi les pratiques tendant à nous faire croire que si nous les adoptons, nous serons en meilleure santé, le vagin fourré (ou vaginatine selon les régions): soyons clair·es, se foutre du chocolat fondu dans la foufoune est très dangereux. On n’y met pas non plus d’huile d’arbre à thé, d’ail ou de persil6 : le vagin n’est pas un Thermomix. Ces drôles de lubies prennent cadre dans une tendance bien plus large: thérapies par les pierres, retour du féminin sacré, bénédiction d’utérus… Là encore, les principales visées par ce type de cures d’un nouveau genre sont les femmes: alors que foisonnent les témoignages de violences médicales et obstétricales, faut-il voir une résistance comparable à celles des buveuses de sang de la Villette en leur temps? Les femmes se tournent plus volontiers vers des thérapies alternatives. 72 % des adeptes des médecines douces sont des femmes: on pourrait en déduire que les femmes sont plus “intuitives” alors que les hommes font plus confiance à la science.
Ou bien dans une perspective plus féministe on peut conclure que l’ignorance voire le mépris des besoins des femmes en matière de santé (prenons les exemple de l’endométriose, maladie encore très mal diagnostiquée/ prise en charge, ou plus recemment l'évocation de possibles perturbations du cycle menstruel après le vaccin, dont témoignent les femmes et que le corps médical refuse d'envisager comme effet secondaire réel ) les pousse à chercher ailleurs ce qu’elles ne trouvent pas dans le circuit de soins traditionnels. Si la ressemblance génétique en termes de séquence entre deux hommes ou deux femmes est de 99,9 %, la ressemblance entre un homme et une femme n'est que de 98,5 %. C'est le même ordre de grandeur qu'entre un humain et un chimpanzé de même sexe. Je vous laisse choisir qui fait le singe.
Du sexisme qui ne dit pas son nom: nous sommes encore souvent les impensées de la médecine: le réaliser nous permettrait sans doute d'être mieux soignées. En attendant, se réapproprier son corps / sa santé (auto-examens, reprise en main des IVG) est une bonne chose: par contre se faire des bains de vapeurs de yoni pour sentir sa “déesse intérieure” est peut-être bien superfétatoire. Surtout si c’est pour se retrouver avec le clitoris en popcorn.
Et le Covid n’arrange rien
(je dis le Covid, un truc aussi malsain, on ne peut que le genrer au masculin). Le refus de la science porte un nom: le dénialisme. “Le mot désigne le refus systématique, buté et doctrinaire, de certains faits avérés; même de certaines théories pourtant admises par la communauté scientifique ou à tout le moins considérées comme très probables”. Ca ne vous rappelle rien? Les antivax, qui bien que les vaccins soient désormais considérés comme sûrs continuent de réfuter ces arguments. Et celles et ceux qui recommandent de plutôt compter sur l’immunité naturelle, plutôt que l’immunité vaccinale quitte à se contaminer volontairement: manque de pot, il semblerait qu’encore une fois ce qui est “naturel” n’est pas forcément le meilleur. Outre les risques de développer une forme grave ou un covid long, il semble aussi que l’immunité naturelle serait moins efficace que l’immunité vaccinale contre les variants, notamment le delta. Alors que penser des recettes miracles pour “booster son immunité” qui fleurissent un peu partout? En soi, rien de trop grave quand il ne s’agit que d’essayer de se faire du bien, à condition de prendre quelques précautions d’hygiène en amont. Et de se méfier quand les promesses paraissent trop belles, comme prétendre que certains aliments pourraient carrément guérir du Covid (en aucun cas, non).
Quoiqu’il en soit: qu’il vous prenne l’envie de consommer de l’urine bouillie ou non, du sang ou des excréments, faites gaffe à vos petites miches. Vous pouvez même inhaler des pets (le sulfure d’hydrogène aurait des vertus thérapeutiques) si ça vous chante. Ou prendre la catchline féministe “bois mes règles!” au premier degré. On ne juge pas. Mais que cela ne remplace pas l’esprit critique et le recul: désinvestir complètement la science ou la médecine pour la croyance n’est peut-être pas la meilleure idée qu’aie eu l’humanité.
La série -docu de la semaine
Pour rester dans le thème, cette série aborde l’industrie du bien-être, en explorant un thème par épisode: celui sur les huiles essentielles m’a particulièrement fait bondir. Et je vous recommande également l’épisode “jeûne”. Elle donne la parole à la fois aux personnes qui tirent profit des produits ou des cures en même temps qu’à ses victimes, ce qui peut laisser un sentiment très dérangeant. Si le sujet vous intéresse, foncez.
L’industrie du bien-être, poisons et potions sur Netflix
La meuf à écouter de la semaine
Les chansons de November Ultra, c’est doux, c’est chaud, c’est joli, c’est pile ce qu’on a envie d’écouter en ce mois pluvieux et froid. Nova “comme la mamie ou la radio” a une beauté radieuse, une voix magnifique et un univers singulier, perso j’ai craqué complet. Et vous? Je vous mets ici Miel, qui parle de rupture et de préservation de soi, avant tout. N'hésitez pas à la suivre sur twitter ou insta c’est déjà une perle.
Le livre de la semaine
Coup de cœur pour cette dystopie où la sororité et la résistance aux oppressions diverses s’entremêlent. Le pitch: dans un univers post-catastrophe, subsistent deux sociétés. L’une est totalitariste, pro-contrôle des femmes et de la fertilité. L’autre est une communauté de femmes, émancipées. Le roman commence avec la destruction de cette utopie, et sous forme chorale, fait intervenir divers personnages hors ou dans les murs de la “Cité”. Le style est fluide, et ça se dévore d’une traite.
« Elles étaient toutes brisées et pourtant incassables. Elles existaient ensemble comme un tout solidaire, un orchestre puissant, les organes noués en ordre aléatoire, un grand corps frémissant. Et j’étais l’une d’entre elles. »
Lisez des femmes, bon sang !
Viendra le temps du feu, Wendy Delorme, éditions Cambourakis
Son instagram: ici
Ce sera tout pour cette semaine, aimez les gens qui vous aiment et à bientôt.
Littéralement, contrairement au vin de Merde que l’on trouve sur les linéaires des supermarchés et qui provient de raisins. Quoiqu’à la dégustation, on puisse aisément confondre.
Dire à quelqu’un “tu me soules” prend soudain un tout autre sens…
Petit message de précaution qui ne mange pas de pain, pensez à vous faire dépister régulièrement, on ne sait jamais.
Alors qu’on n’a jamais eu un accès aussi facile autant à des sources qu’à des spécialistes, c’est peut-être pour ça que le message se brouille d’ailleurs. Il est de plus en plus difficile de faire le tri entre vraies infos et fake news.
Les entreprises œuvrant dans le domaine de la saine alimentation, de la nutrition et de la perte de poids ont en 2017 généré 16,3 % des recettes mondiales de l’industrie, soit un peu plus de 700 milliards USD.
De façon générale, les fruits / légumes insérés dans des orifices même à usage récréatif, on évite. Gardez l’aubergine pour vos sextos en version émoji, c’est tout de même plus safe.